Valparaiso
Avant de clore le chapitre de l'aurore boréale, je vous soumets l'acte qu'a rédigé le prieur d'un petit bourg de l'actuelle Charente Maritime, sur le "Registre destiné à recevoir les actes de baptême, mariage et sépulture" de a paroisse de Ballon, diocèse de La Rochelle, malgré l'interdiction qui était faite aux prêtres d'y inscrire autre chose que les actes religieux.
Nous allons reprendre la mer comme le chantaient les baleiniers d'autrefois : "Hardi les gars ! vire au guindeau... good bye farewell... Au Cap Horn il ne fera pas chaud... Plus d'un y laissera sa peau... et nous irons à Valparaiso all away hé houla tchalez... où d'autres laisseront leurs os" (version très abrégée)
50/51 – Valparaiso - Chili
Mercredi 23 février 2011
13.196 knots =24.439 kilomètresdepuis le départ…
Mer grise, ciel gris, l’été austral ne se met pas en frais pour nous qui lui rendons visite. A la boutique du bord, après avoir hésité sur la capacité potentielle de deux sacs, j’ai opté pour le moins… lourd ! Car il va bien falloir rapporter tout ce que je n’avais pas en venant, n’ayant pas eu la sagesse de Diana qui ne porte en voyage que des vêtements qu’elle jette au lieu de les laver, et que je ne veux rien abandonner des miens. J’ai revu Monica qui me confirme qu’elle quitte le bateau dans l’après-midi, mais que nous reverrons dès lundi (et mardi si je le souhaite) à Lima où je rencontrerai sa mère et son frère qui, lui aussi, étudie le français.
La première vue que j’ai de Valparaiso (on prononce Val-para-ï-sso) est une ville étagée sur 47 collines, mais très vite, nous sommes parmi les containers qui s’entassent sur les quais du port, et juste derrière le Star Princess d’une autre compagnie, d’un luxe inouï...
Le soleil semble vouloir apparaître, et c’est une superbe journée d’été qui nous attend pour visiter Valparaiso. Ce qui caractérise la ville, ce sont les collines reliées par des funiculaires, dont certains ont une pente si inclinée qu’on pourrait les assimiler à des ascenseurs. Ils évitent aux habitants du haut de pénibles ascensions pédestres, et les rues qui mènent aux sommets sont en lacets serrés.
Valparaiso (Valpo disent les marins, comme Frisco pour San Francisco) a une longue histoire. Les Espagnols découvrirent sa baie en 1536 et la nommèrent Vallée du Paradis. Elle devint l’étape obligée des vaisseaux qui arrivaient de l’Atlantique par le détroit de Magellan ou le Cap Horn, elle connut une éclatante prospérité jusqu’à l’ouverture du canal de Panama en 1914 : les navires n’avaient plus à faire ce long détour pour aller d’une côte à l’autre du continent américain. Depuis quelques années, la ville a repris une intense activité avec les bateaux de croisière pendant l’été, et il est devenu un important port de pêche et surtout d’exportation des vins chiliens, de cuivre et de fruits frais. Valparaiso est un site protégé par l’UNESCO.
En sortant du bateau, j’ai aperçu Arip, l’un de nos deux si souriants serveurs (qui était absent depuis deux soirs) assis sur une chaise, le pli du coude recouvert de pansements qui laissent voir qu’il a eu des prises de sang : il doit subir une appendicectomie et attend l’ambulance qui le conduira à l’hôpital. Il trouve la force de me sourire et je l’embrasse en lui souhaitant qu’il puisse reprendre le bateau où le médecin et les infirmières du bord assureront sa convalescence.
Un homme important au Chili est mort hier : tous les drapeaux sont en berne. Le Quartier Général de la Marine offre sa jolie façade bleue à la place Sotomayor, au centre de laquelle est érigé un monument à la mémoire des hommes du capitaine Arturo Prat (tiens ! peut-être un cousin Breton) morts au combat en 1879. Nous sommes au cœur de la ville, et je vais aller jeter un coup d’œil aux stands des marchands de souvenirs et d’objets « d’art »… La mémoire de deux hommes reste vivace : Pablo Neruda le poète, et surtout Salvador Alliende, le président socialiste élu, assassiné au cours d’un soulèvement fomenté (ou au moins fortement soutenu) par une puissance étrangère située au Nord. En haut de l’une des collines, de jolies maisons victoriennes multicolores semblent les cousines de celles de Frisco, l’unité en moins, et les faisceaux de fils électriques en plus qui les défigurent hélas !
L’horloge fleurie a pris un peu d’avance sur l’horaire, mais sa mécanique fonctionne… Des canons venus du fond des âges montent une garde inutile sur le remblai de Vina del Mar, la station balnéaire huppée aux immeubles futuristes, sur la plage de laquelle se pressent les estivants avides de soleil. Des chevaux racés traînent des victorias aux cuivres étincelants dans lesquelles les touristes font la visite sans fatigue.
Un petit moai pascuan monte la garde devant le musée consacré en grande partie à l’île de Pâques : il fait moins de3,50 mètres, mais il est authentique. A l’intérieur, une échelle montre que les plus grands atteignent 22 mètres. Faute de temps, je me suis intéressée principalement aux bijoux et objets incas et mapuches, aux poteries et momies de Nazca (Pérou), sans avoir revu de statuettes coquines en terre cuite telles que celles qui, à Cuzco, montraient que les Anciens avaient de l’imagination et ne s’embarrassaient pas de morale bourgeoise ! Trois crânes sont les témoins des déformations rituelles que l’on faisait subir aux enfants dès la naissance. En revanche, deux jeunes filles déguisées en Tahitiennes posent dans le hall, sans que j’aie compris qui elles sont censées représenter en ce lieu. Plumes dans les cheveux et jupes en plumes blanches, leur présence est déconcertante…
Une statue d’Auguste Rodin en bronze est au pied de l’escalier d’un musée, sans que j’en saisisse l’allégorie : un homme nu pour lequel un ancêtre de Schwarzie a peut-être posé semble tenir sur son épaule droite un ange ( ?) à la bouche ouverte dans un cri muet. Sujet à creuser…
Joyce est rentrée avant moi, et elle sirote un verre de vin chilien qu’elle vient d’acheter et dont elle me propose un verre. Il est excellent, a beaucoup de corps et juste assez de tanin. Huit dollars la bouteille.
Yohat est surpris d’apprendre que son co-équipier est à l’hôpital ; visiblement, il pensait le voir rétabli.
Le show est donné par une troupe locale « Lafquen », et les vaqueros bottés jouent du tambourin, avant que les femmes n’arrivent dans d’énormes robes juponnées de plusieurs mètres de tour. C’est le jeu de la séduction, et la musique n’est plus du tout marquée par l’influence allemande. Il me semble qu’au Chili, deux ethnies principales composent la population : les descendants des premiers habitants indiens, et ceux des colons et émigrants européens. Mais alors, que viennent faire sur scène les danseuses « tahitiennes » aux déhanchements suggestifs soulignés par leur jupe de plumes blanches et leur soutien-gorge en noix de coco ?
Les Tahitiennes de Valparaiso... ont aussi la croupe agile !
Le ciel est clair au-dessus du deck 13… mais où est le Sud ? Trop de lumières atténuent l’éclat des quelques étoiles visibles… Les oiseaux de mer groupés par dizaines sur quelques containers se gavent des graines échappées en manifestant bruyamment leur satisfaction.
Valparaiso la nuit dans son écharpe de lumières
Jeudi 24 février 2011
Joyce est partie très tôt ce matin pour Santiago du Chili la capitale. Je n’ai pas souhaité l’accompagner, trouvant la journée trop chère. Le ciel est gris et le restera jusqu’à le fin de l’après-midi. J’avais pensé sortir flâner sur les quais du port et peut-être prendre l’un des ascenseurs payants, mais je sais qu’on ne peut payer en dollars, et je n’ai pas envie d’en changer pour des pesos dont je ne saurais que faire après, puisque le Chili… comme Capri… c’est fini ! Je suis restée en fin de compte mettre ce carnet à jour, j’ai taillé une bavette avec les uns et les autres. J’ai pu lire quelques-uns de mes mails mais sans pouvoir répondre, des coupures intervenant avant que mon texte ne soit envoyé. J’ai refusé de piquer une rage inutile ; j’ai alors essayé d’envoyer le billet dela Bourlingueuseavec les réponses aux uns et aux autres que laposte refusait de transmettre directement, mais j’ai dû m’y reprendre à deux fois… L’adsl… c’est quand même bon et tellement moins cher !
Ma fille « Corail » m’apprend une nouvelle étonnante. Un Arawack dormait depuis plusieurs siècles au bout de leur jardin dans le sable de la plage dela Morelière en Guadeloupe... La décision de l’y laisser plutôt que d’en faire une pièce de musée est la meilleure qui pouvait se prendre.
Je suis restée sur le pont 11 regarder Valparaiso s’éloigner dans une brume laiteuse. Le bateau est parti avec deux heures de retard, des bus n’étant pas de retour, sans doute ceux de Santiago. Joyce est revenue enchantée de sa virée : la capitale est vraiment une très belle ville et ses photos le confirment, à la riche architecture, que le président Obama va visiter la semaine prochaine ! Ils ont mangé dans un resto chic : foie gras, soupe, saumon au riz, dessert et vin à volonté… Joyce a dormi tout le temps du voyage de retour ! Il faut savoir que les vins chiliens sont parmi les meilleurs au monde, et que les premiers plants de vigne furent apportés ici au début du XVIe siècle. Puis Cortes, bon chrétien, donna l’ordre aux Espagnols de planter mille pieds de vigne pour cent Indiens tués ! Bien plus tard, au XIXe siècle, lorsque le Chili gagna son indépendance du royaume d’Espagne, les propriétaires terriens firent venir des vignerons français pour leur savoir-faire. Les conditions climatiques sont si favorables qu’il suffit de planter des rameaux pour qu’ils poussent, irrigués par des canaux millénaires qui leur apportent l’eau des montagnes, et ils donnent leurs premières grappes trois ans après.
J’avais remarqué depuis le premier soir un couple qui avait un petit chien blanc très sage, et je m’étais étonnée qu’il leur soit permis de voyager avec lui. J’ai su hier que Gotita (c’est une chienne) est un « working dog ». Son maître est un militaire qui a fait quatre guerres et qui, au cours de la dernière, a été gravement blessé aux oreilles par la déflagration d’explosifs et de ce fait, il est souvent en perte d’équilibre. Il a fallu quatre ans pour dresser la chienne à être l’aide qui permet au blessé de ne pas tomber.
Ultimate Broadway est la revue que la troupe du Prinsendam nous a déjà présentée, mais c’est un plaisir de la revoir… et ensuite, du pont 7, j’ai pu admirer dans un ciel noir l’éclat des étoiles que j’attendais chaque soir. Ma belle Croix du Sud et les Nuages de Magellan étaient au rendez-vous !
Une heure de plus à dormir : nous entrons dans le fuseau horaire de Toronto, New York et Lima et nous n’en changerons plus jusqu’à Fort Lauderdale…
Si votre coeur est solide, cliquez donc sur le lien suivant qui vous fera dévaler à vélo l'une des collines de Valparaiso. Je vous préviens... accrochez-vous !
http://biertijd.com/mediaplayer/?itemid=26190