L'abandon
JLa maison abandonnée
Je ne résiste pas à l’envie de vous montrer cette toile de Matteo Massagrande.
J’aime ce peintre que j’aime à voir comme « le peintre de l’abandon ».
Cette toile évoque-t-elle quelque chose pour vous ?
Suscite-t-elle quelque envie de voyage ?
Quelque souvenir ?
On devrait grâce à vous, en savoir plus lundi…
Ne vous fiez pas à l’image que vous avez sous les yeux…
Matteo Massagrande ne m’a pas connue au temps de ma splendeur, quand les rires d’enfants résonnaient dans ma cour dont les grilles étaient alors peintes d’un vert tilleul rafraîchissant.
Mon histoire avait pourtant mal commencé : l’un des deux maçons qui m’édifiaient pierre par pierre, un solide costaud à la cinquantaine gaillarde et un jeunot de vingt ans, qu’une balle avait fauché sur un champs de bataille au cours d’un conflit que l’on appela ‘’la Grande Guerre’. Celui qui restait était son père qui ne s’en remit pas.
D’autres vinrent pour achever le travail et comme à l’accoutumée, un bouquet fut attaché près de la cheminée à la poutre maîtresse par les charpentiers avant qu’ils ne partent, leur tâche finie.
Vint le couvreur qui me coiffa de tuiles roses à la romaine…
Chaque dimanche pendant le temps de mon édification était jour de fête : la famille que j’allais abriter venait me voir grandir et je me réjouissais d’entendre leurs rires frais et de voir leur enthousiasme.
Quelle hâte avais-je de les protéger, de les envelopper !
Puis un beau jour d’été, une charrette à cheval fit plusieurs voyages pour apporter les meubles et le ‘’ménage’’ de ma famille.
Ma vraie vie allait donc commencer mais ma joie fut discrète, car je ne voulais pas que des incidents intempestifs et fâcheux inquiétassent ceux qui s’étaient abandonnés dans une quiétude rassurante entre mes murs…
Les enfants grandirent, devinrent adolescents en quelques années, avant de me quitter pour revenir eux-mêmes avec des enfants rendre visite à leurs parents vieillissants.
Une autre guerre changea le rythme familial : ceux qui vivaient désormais à la grande ville revinrent pour se réfugier des bombardements.
On me négligeait un peu plus au fil du temps mais je ne m’inquiétais pas, devinant que l’urgence était ailleurs…
Puis les vieux parents disparurent l’un après l’autre, mais la jeune génération resta dans mes murs jusqu’à la fin de l’Occupation.
Mon déclin était alors bien entamé et ma tristesse fit place au désespoir : on me mit en vente à un prix que j’estimais dérisoire mais nul ne voulut de moi.
Et me voilà aujourd’hui telle que je suis : une ruine qui sert de terrain de jeux aux galopins du voisinage, et parfois même de lieu où des junkies viennent chercher leurs paradis artificiels.
Quelle mouche a donc piqué Matteo Massagrande lorsqu’il a planté son chevalet au pied du cyprès ? J’aurais tellement préféré ne pas le voir mais comment faire puisque mes fenêtres ont depuis longtemps perdu leurs volets ?
Je vais disparaître peu à peu et un beau jour, m’écrouler tout naturellement de fatigue.
L’abandon est la pire des choses quand comme moi, on a donné tant d’amour à ceux qu’on abritait et qui ont oublié…