Fais dodo et laisse bon temps rouler !
Nous les cinq Nantais sommes les seuls du groupe qui n’avons aucune attache familiale avec les Cajuns d’Acadie ou de Louisiane.
La nuit est tombée lorsque nous arrivons à Lafayette pour le « fais dodo » traditionnel. Car nous voilà entrés non seulement en Louisiane, mais nous sommes au cœur du pays (a)cadien !
La Louisiane, le plus français des états d'Amérique du Nord fondé au XVIIe siècle, a connu le Grand Dérangement en 1755, lors de l’arrivée des Acadiens après leur déportation du Canada, chassés par les Anglais parce qu’ils ne voulaient pas faire allégeance au roi d’Angleterre. Il existe ici une tradition que les Cadiens (Cajuns) ont su se transmettre de génération en génération et qui perdure de nos jours. Il s'agit du fais-dodo, bal familial du samedi soir. L'expression viendrait de l'habitude qu'avaient les mères cadiennes d'emmener leurs jeunes enfants au bal et de leur dire de s'endormir au son de la musique. Elles mettaient les enfants dans une pièce annexe de la salle et chantaient « Fais dodo Colas mon p'tit frère…» puis s’en allaient danser tout à côté !
En 1755, les Acadiens avaient donc été chassés de leurs terres d'Acadie (territoire canadien) par les Anglais. Ils ont alors trouvé dans les bayous de Louisiane un endroit bien plus chaud (mais aussi plus dangereux) pour s’y installer. Les bayous sont des marécages formés par les divers bras du Mississippi. Outre les maringouins (gros moustiques) on y trouve des alligators, des serpents, des ratons-laveurs, mais aussi une grande variété d’oiseaux. La langue des Acadiens (devenus au fil du temps Cadiens) est le français du XVIIIe siècle aux accents québécois.
Peut-être pour surmonter leurs malheurs, ils se sont fait une belle réputation de joyeux lurons qui aimaient danser ! Les familles se réunissaient le samedi soir chez l’un ou l’autre des habitants du village, en emmenant les enfants, y compris les bébés. La gastronomie et la musique faisaient partie de leur vie. Tout prétexte était bon pour faire la fête, et ainsi prendre le temps pour bien profiter de la vie. On y servait le jambalaya, à base de riz, de crevettes et d’ananas. Quand venait l’heure de danser, on installait les enfants n’importe où ; ils pouvaient dormir sur un banc, sous une table avec des couvertures… On leur disait alors « fais dodo » et les parents pouvaient alors danser jusqu’au matin ! La musique cadienne, jouée par un accordéon, un violon et un triangle (ou 'ti fer) est un mélange de genres musicaux et d'influences culturelles. Elle sera ensuite également interprétée à la guitare, la planche à laver (frottoir) et l'harmonica. Aujourd'hui, le fais-dodo est resté un bal populaire en Louisiane où parents et enfants dansent le quadrille sur des musiques Cajuns : le Zydeco (qui vient de l’expression les z’haricots sont pas salés) créé par les Créoles dans les années 30 et le Swamp boogie, rock’n’roll chanté avec l’accent acadien, deux variantes de la musique cajun.
Serons-nous ce soir dans le même endroit qu’en novembre 1997 la première fois que je suis venue ici à Lafayette avec les copains sous une pluie battante ? Dès l’abord, je ne reconnais rien et j’en ai la confirmation par le décor intérieur : une grande salle où sont alignées des tables, et au fond, un vaste espace parqueté où se tient un orchestre où quelques couples d’âge divers dansent déjà. Un grand ventilateur d’un mètre de diamètre tourne dans une cage qui protège le public de ses longues pales. Je remarque deux sexa-septuagénaires qui chaloupent en cadence avec un plaisir évident. Ils m’expliquent qu’ils ne sont que de passage à Lafayette mais ne manquent aucune occasion de venir ici « laisser bon temps rouler » selon l’expression populaire. Si je n’ai pas dansé (ça c’était dans une autre vie) Paulette, Dominique et quelques autres se sont laissé aller à la bonne humeur ambiante. La cuisine servie à table est cadienne, vous l’avez deviné…
A 21 heures tout s’arrête et chacun rentre chez soi !
L’alligator de bois qui s’étale devant l’entrée a-t-il quelquefois fait peur au passant ?