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L'Antarctique... enfin !
38 – Atlantique – en mer vers l’Antarctique
Vendredi 11 février 2011
Joyce est depuis longtemps partie quand je m’éveille : presque 11 heures. Damned ! et je voulais aller au Culinary Center pour suivre la recette du poulet à l’indonésienne… Je ferai la toilette au retour. Beaucoup de monde y assiste, dont Dean le nouveau convive, qui m’a dit avoir été hôtel manager un peu partout dans le monde. C’est juste assez épicé pour que je l’essaie à la maison (le poulet, pas Dean).
A mon retour à la cabine, j’y trouve un diplôme qui atteste que je suis sortie indemne d’un bain avec des piranhas lors du passage de la Ligne sous les yeux de Neptune qui officiait. A mon âge, on n’est plus très regardant sur la qualité des diplômes reçus, mais je suis la seule de mon entourage à l’avoir obtenu, même si, comme moi, beaucoup ont passé l’Equateur plusieurs fois !
Le bateau navigue dans un brouillard épais et la soirée « observation des étoiles » à
laquelle je nous avais inscrite est compromise. Il n’est pas possible d’apercevoir un coin de ciel et l’horizon est bouché…
La classe d’aquarelle me permet de me défouler sur les chutes d’Iguazu, et je ne suis pas mécontente du résultat. Je songe tout à coup que si je devais entamer une carrière artistique, je choisirais Joyce comme public-relations, car j’ai appris qu’elle a montré mes aquarelles au quarteron des taxi-boys danseurs et à son club de bridge !
Autre sujet d’étonnement : je me sentais honteuse chaque jour après la douche d’avoir provoqué autant d’éclaboussures sur le miroir jouxtant la baignoire en pensant au travail des stewards pour les effacer. Puis je me suis aperçue que l’eau en séchant ne laisse aucune trace ! Le bateau puise l’eau dans son environnement et la traite afin qu’elle soit potable. Lorsque nous étions dans l’Amazone il n’était toutefois pas question d’utiliser celle du fleuve, et il nous avait été recommandé de limiter nos besoins en eau et de faire durer nos serviettes et draps de bain.
Le show est avancé à 18.30 h et le Transylvanien Count Dimas nous a bien divertis. Pianiste classique, il a d’autres cordes à son arc et entame à la flûte des mélodies roumaines nostalgiques, puis à l’accordéon un medley de chansons connues caractérisant de nombreux pays (pour la France « Sous le ciel de Paris »). Il se remet au piano et avec un air sérieux commence « La Marche Turque » de Mozart qui va vite tourner à la parodie « à la manière de… ». Il a terminé son show dans le plus grand délire parce que, dit-il, étant né près du château de Dracula, il ne pouvait faire moins que de lui dédier un instrument de son invention : le draculaphone. Il a revêtu un costume bardé de « pouet-pouets » qu’il a fait pouetter en se désarticulant. La salle, pliée en quatre, lui fait un triomphe. Quel bonheur de voir des gens aussi talentueux qui n’ont pas la grosse tête !
Le piano à bretelles de Count Dimas...
Et si on pouettait en choeur ?
Jetant en sortant un œil aux fenêtres, je suis heureuse de voir la mer dégagée jusqu’à l’horizon. C’est que peut-être ce soir le ciel, pour le moment couvert de nuages, sera assez dégagé pour l’observer après le briefing auquel nous devons assister avant de sortir, chaudement vêtus.
Le décor du bateau s'est mis au goût du jour : tout y est glaçons et pingouins ! Le personnel qui a revêtu des fracs pailletés garde 
cependant le sourire chaleureux qu'il arbore sous toutes les latitudes...
Au dîner j’ai choisi une cassolette de St Jacques (sans modestie, je fais meilleur à la maison) et du homard Thermidor (en fait langouste des Caraïbes surgelée) à la sauce trop farineuse. Il va falloir que je donne des cours de cuisine au chef cook !
C’est une jeune femme officier qui va nous expliquer comment les marins font le point. Elle a apporté son sextant et l’almanach marin qui dit-elle, est leur bible. Elle parle surtout d’astronomie et de la façon de repérer les 
constellations et regrette que l’observation directe ne soit pas possible ce soir. Avant de rentrer à la cabine, je me suis néanmoins risquée sur le pont, bien emmitouflée et munie des accessoires offerts par la Holland America Line. Bernique ! j’ai bien cru apercevoir une rangée d’étoiles dans la nuit, mais j’ai dû admettre que ce n’était que les ampoules éteintes qui sont suspendues au-dessus de la piscine. Je finis par avoir des hallucinations ! Vu la température ambiante, je ne me suis pas attardée…
39 – Antarctique – Antarctic Sound
Samedi 12 février 2011
La mer est dégagée, mais le ciel est nuageux. Elephant Island n‘a rien d’exceptionnel vu d’ici, et cependant, elle a été le paradis pour les 28 survivants de l’expédition Shackleton puisqu’ils touchaient terre pour la première fois depuis 497 jours ! Après encore 105 jours sur ce tout petit pic, Shackleton ramena tous ses hommes vivants après avoir parcouru 800 miles jusqu’à South Georgia Island d’où il put réaliser leur sauvetage…
Le Pôle Sud est plus froid que le Pôle Nord parce qu’il est sur un continent et non en pleine mer. Et dire que certains croient qu’il y fait chaud !
Mon premier iceberg antarctique est modeste, mais c’est le premier ! l’idée ne m’est venue que plus tard d’aller au Crow’s nest pour être aux premières loges et voir les choses d’en haut… Pourquoi d’autres y ont-ils pensé avant moi ? Les places sont chères : si quelqu’un se lève, son siège est gardé comme Fort Knox jusqu’à son retour. Demain, je m’y prendrai plus tôt… Des falaises de glace, des montagnes sans d’autres traces de végétation que des lichens, et cependant, des scientifiques et leur famille vivent dans ce décor de désolation. Un petit avion arrive 
juste qui les relie à l’Argentine, puisque nous sommes à Esperanza Station qui dépend de ce pays. Car l’Antarctique n’appartient à 
personne, et si le continent a été partagé comme un gâteau, nulle nation ne peut en revendiquer la possession.
Le Prinsendam glisse doucement à toute petite vitesse et vire parfois pour éviter un iceberg qui pourrait l’endommager ; nul ici n’a envie de rejouer « Titanic » ! il fait un froid de canard et le vent est fort. Des patinoires à pingouins sont nettement visibles sur 
certaines parties basses des plaques de glace, où leurs déjections ont laissé des 
traces brunes. Une montagne haute comme un gratte-ciel apparaît devant nous, mais bien avant qu’elle puisse être photographiée de près, le navire a viré et je la vois s’éloigner. Quelle hauteur pouvait-elle atteindre ? Quand on sait que seul apparaît 1/10e ou 1/11e de sa masse (les avis divergent) on peut se dire qu’il y a une belle quantité d’eau douce en stock. J’ai entendu dire (mais que ne dit-on pas ?) que la piscine qui était vide hier soir a été remplie avec de l’eau de mer où l’on pourra se baigner. J’ai un projet : aller au jacuzzi et regarder les icebergs. Mais qui voudra bien me suivre pour me tirer le portrait ?
Vers 7 pm j’ai fait une apparition pour voir si le film projeté est bien celui auquel je pense : « La Marche de l’Empereur » avec la voix de Morgan Freeman que je comprends sans effort. Je pense que je le reverrai en entier avec le même intérêt que la toute première fois à Nantes.
Pendant le dîner, des baleines sont apparues sur bâbord, mais je les ai à peine entrevues. Je vais m’équiper « polaire » avant d’aller affronter l’air du pont et voir Deception Island qui devrait conclure cette première journée antarctique. Le ciel est voilé, pas de constellations en vue. La brume noie tout lorsque j’arrive au bras d’un serveur indonésien qui tient absolument à ce que je m’accroche à son bras. Peut-être a-t-il peur de s’envoler avec le vent ? Avec moi comme contrepoids, il ne risque rien ! On aperçoit 
de vagues contours qui semblent bien être une île et des dorsales … de baleines ? de dauphins ? je n’en saurai pas plus puisque seules les nageoires sont apparentes. Puis un pan de brume se dissipe et l’entrée du cratère submergé apparaît nettement ; c’est la Fenêtre de Neptune. Pendant longtemps, ce havre a été le refuge des premiers baleiniers et chasseurs de phoques dans un environnement hostile. Seuls les sommets sont enneigés et il n’y a aucun iceberg ni de glaces flottantes autour de la caldera. La péninsule antarctique est d’origine volcanique. Des pingouins sautent en suivant le bateau…
…le show de ce soir se joue « outside » (dehors)
40 – Antarctique – South Shetland Islands
Dimanche 13 février 2011
Une lueur filtre entre les rideaux épais et je vais voir à la fenêtre. Le jour se lève sur un paysage glacé mais il n’est que 4 h, c’est encore trop tôt pour le soleil. Mais l’envie de voir me taraude et chasse le sommeil. Les nuages légers rosissent, je présume que nous aurons un flamboyant lever de soleil et je vais attendre derrière la fenêtre le temps qu’il faudra, en regrettant toutefois que les embruns aient constellé les vitres de gouttelettes, mais surtout que les peintres chargés de remettre à neuf le navire aient salopé le travail !
Une belle aurore se prépare...
Le ciel est passé du rose pâle à un ton orangé plus soutenu et j’attends avec confiance… d’autant plus que Joyce est venue aussi assister au spectacle. Mais que se passe-t-il ? D’épais nuages gris sombre s’élèvent des rochers glacés et montent en panaches vaporeux. Le lever du jour a provoqué une condensation intense de l’air qui les enveloppe alors que la mer reste dégagée ! Le ciel s’est embrumé et l’aurore éblouissante que j’attendais nous a fait faux bond. Le Cercle Polaire Arctique aurait pu se mettre en frais pour honorer notre visite. Dépitée, Joyce s’est recouchée tandis que je vous livre mes états d’âme en regardant des icebergs défiler tout près.
La TV du bord constamment diffuse en noir et blanc les vidéos prises à la proue et à la poupe et je n’y vois autre chose que des blocs de glace et un horizon bouché. J’ai bien fait de profiter de l’aube.
Joyce à qui j’ai parlé de mon idée de jacuzzi embraye à fond et dit que je suis « crazy » mais qu’elle aime ça ! Ceux qui me connaissent bien savent que je suis un peu fêlée, et ça ne date pas d’hier… Nous convenons de nous retrouver dans la cabine à midi, mais, réflexion faite, la piscine ouvre à 9 h et si on en profitait ? Le temps de me mettre en tenue et nous voilà sur le pont 9, mouillé de neige fondue, elle emmitouflée, moi, les pieds nus en maillot de bain. Contre toute attente, je n’ai pas froid ; 
deux femmes habillées par Bibendum tiennent à figurer sur le cliché avec moi et donnent leur appareil à Joyce. Et moi… et moi… et moi ? Faut pas qu’ça dure trop longtemps, parce que c’est mon show à moi ! Je suis grasse comme une loche après plus d’un mois de bombance, et je ne manie pas assez bien Photoshop pour me faire sylphide devant l’Eternel. Je fonce alors au jacuzzi qui me semble à peine tiède, mais beaucoup plus chaud que la température ambiante. C’est dans la boîte et je peux aller me rhabiller !
Pour célébrer le Cercle Polaire même s’il nous fait la tête, c’est ce soir que nous allons 
dîner au Pinnacle (avec 2 n) avec le bon que j’avais gagné lors de la soirée Noir et Blanc. A son habitude, Joyce s’est occupée de la réservation, m’a demandé le bon avant de partir, qu’elle a plié et replié sans soin pour le mettre dans sa poche. Une demi-heure plus tard, un groom est venu m’apporter l’invitation officielle imprimée à mon nom où elle est nommée comme « my guest ». J’ai à peine eu le temps de la lire qu’elle s’en est emparée pour la mettre dans sa pochette du soir. On ne la refera pas, n’est pas ? Il est vrai qu’elle est la petite dernière d’une nombreuse fratrie, et c’est à elle qu’on fait appel en cas de difficultés pour prendre les choses en main… et elle ne demande que ça ! Elle est bien brave et si notre association fonctionne bien, c’est parce que nous vivons séparément. Dans la journée, il nous arrive de nous croiser sur le bateau, mais nous ne sommes ensemble qu’à partir du dîner à 8 h, et dans le cas où nous avons choisi la même excursion, sans pour autant s’asseoir l’une à côté de l’autre.
Je suis pour l’heure au 11e étage du Lido derrière les vitres, et l’iceberg que nous avons croisé il y a peu était plus haut que nous et un peu moins long que le navire. Il est facile d’imaginer le danger qu’une telle masse à la dérive représente... Le Prinsendam avance au pas d’un homme et je me sens en sécurité.
Sur des plaques de glace polie, les pingouins s’en donnent à cœur joie mais plongent en désordre dès que le navire approche. A terre, il est aisé de repérer leurs colonies : les traces brunes ou jaunâtres contrastent avec le blanc bleuté des glaciers, dont la masse impressionnante nous écrase.
Je suis redescendue à la cabine vers 7.30 h où je pensais retrouver Joyce qui est absente. Le Pinnacle exigeant une tenue « formal », j’ai sorti mes affutiaux de gala et suis presque prête quand Joyce arrive excitée mais qui ressort presque aussitôt en me parlant de sa partenaire au bridge qui dîne avec nous si je n’y vois pas d’inconvénient… « See you later at Pinnacle »…
Et la voilà partie…
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