Roberto, le lièvre argentin
Longtemps que nous n'avons pris la route sur les pistes de Patagonie, même si San Carlos de Bariloche est une ville plutôt mondaine qu'il faut bien traverser avant d'aller plus loin redécouvrir la Nature...
Lundi 17 mars
Embarquement dans un minibus, conduit par un guide. Le lac Nahuel Huapi a ce matin des couleurs de saphir, mais nous allons au Lago Mascardi, où le parc naturel est géré par les Indiens Mapuches. Le bus suit un chemin étroit et sinueux où il passe à peine, franchit des passerelles en troncs d’arbres recouverts de terre qui permettent de franchir un torrent… nous commençons à nous demander où nous mène Roberto, le guide barbu assermenté. En cas de pépin, qui viendrait nous chercher ici ?
Un bâtiment de bois inachevé est le point de départ de la randonnée. Nous pouvons entrevoir le lac Mascardi entre les arbres, mais, suivant Roberto, nous nous enfonçons dans le sous-bois à la vitesse d’un cheval au galop, crapahutant au-dessus des ruisseaux, des troncs d’arbres renversés, enjambant les talus avec l’aide de mains secourables. Bernard et Christian renouvelant leur BA du Pérou, tentent de me hisser en me tirant vers eux, cette fois : la « marche » est haute, et mon pied qui pivote sur la terre pâteuse me déséquilibre, car l’autre ne prend appui que sur la pointe. J’ai bien cru que mes « supporteurs » allaient se trouver avec moi au fond du fossé. On n’a pas fini d’en reparler, si vous voulez mon avis !
Le parcours continue dans le bois, mais j’ai maintenant une canne que m’a trouvée Edwar qui m’aide et m’offre son épaule dans les passages difficiles. Nous voici enfin sur la plage où je décide de rester pendant que le groupe va s’épuiser à suivre dans la montagne un « lièvre » argentin de la race robertus velocitus. J'ai choisi de m'installer sous un arbre couché près du lac dans la tiédeur du soleil, et je vais lire mes guides, écrire des cartes, dont une au Dr Coisy, mon chirurgien pour lui dire que ses deux prothèses et moi allons bien toutes les trois… pour le moment ! L’eau bleue a des vaguelettes d’émeraude sous le soleil et leur clapot qui me rappelle la mer me fait un instant penser que la marée va monter.
Plusieurs heures passent ainsi à farnienter, tandis que j’imagine les copains soufflant et souffrant derrière Roberto avec son allure de chèvre des montagnes. Lorsque enfin, ils arrivent épuisés, et, pour quelques-uns, déçus, je m’entends dire que j’ai fait le bon choix de rester les attendre dans un si joli cadre. En fait, Roberto s’est contenté de leur montrer le chemin, grimpant à toute allure sans se préoccuper d’eux, les précédant de 100 m, et continuant sa marche dès qu’il apercevait ses suivants immédiats. Ils ont ainsi monté pendant 2 ½ heures, ont pique-niqué et sont redescendus… Ah ! Roberto n’a jamais voulu admettre que le chemin montait : on lui pouvait bien lui montrer le lac, en bas, il disait « non ».
L’eau du lac a paru douce aux messieurs, et elle leur a rincé la sueur. A son habitude, Roberto avait filé, mais il a fini par revenir nous chercher, et nous avons derrière lui rejoint le minibus tout proche en longeant le lac. Pourquoi cette marche inutile ce matin, dans la forêt parsemée de difficultés et de chausse-trapes où j’ai eu tant de mal à avancer ? Avant de quitter le parc, nous restons un moment à observer des oiseaux, peut-être des pics à tête rouge.
Nous prendrons le réconfortant tea-time au luxueux hôtel Mascardi. Luxueux… c’est peu de le dire… Il ouvre toutes ses baies sur le lac du même nom, et ses boiseries somptueuses laissent deviner quel genre de clientèle le fréquente. Les bacheliers fortunés du pays se font offrir un séjour ici, à San Carlos de Bariloche, où ils fréquentent plus les boîtes de nuit que les pistes de ski ou les rives du lac.
Dix Français et un Péruvien dans Bariloche, ce n’est pas monnaie courante. Comme elles sont dures à monter, les rues de San Carlos, tout comme celles de Frisco, ou, plus proches, celles de Cuzco... "La Jauja" est enfin en bout de piste, deux rues plus bas, avec son décor de bois verni, et si certains se laissent tenter par la viande argentine, la truite du lac, est ce soir la vedette.