La visite inattendue
La visite inattendue
D’après vous, que font cette tasse et ce sac, abandonnés là, comme si la hâte avait saisi sa propriétaire ? Vous aurez bien une idée d’ici lundi, non ?
Cette toile d’Adeline Goldminc-Tronzo devrait vous inspirer
Comme j’ai bien fait de garder un jeu de clés…
… et avec quel bonheur me suis-je retrouvée dans le séjour de notre maison de vacances ! Même si le décor a changé, l’atmosphère que je respire avec avidité reste vivace et j’ai laissé remonter mes souvenirs …
J’ai allumé un feu dans l’âtre dont les garnitures de cheminée en bronze sont désormais chez moi à Nantes, et j'ai préparé un thé que je me suis servi dans une tasse que je ne connais pas.
Vais-je dormir dans mon ancienne chambre ou irai-je à l’hôtel, ce qui serait quand même plus sage ? J’y réfléchirai demain disait Scarlett O’Hara l’héroïne d‘’Autant en Emporte la Vent’’.
Cette maison, nous l’avons tellement aimée ! Bâtie en grande partie au cours des premiers étés où nous dormions sous la tente et sans pouvoir faire d’emprunt : la législation de l’époque ne le permettait pas pour les résidences dites ‘’secondaire’’. Nous achetions les matériaux en obtenant parfois des conditions favorables pour notre petit budget : l’un des marchands nous accordait de ne le payer qu’à quatre vingt dix jours fin de mois ! Un mécène, ou presque à nos yeux… Nous avions fait les plans de cette villa que nous construirions sur un terrain que mes parents avaient acheté trois francs six sous en 1948. La première nuit où nous avions pu dormir parce que le toit était enfin posé, la pleine lune entrait par la porte-fenêtre encore sans violets du séjour où je me tiens maintenant. Tout naturellement, le nom de la villa s’était imposé à nous : ‘’Clair de lune’’.
Et me voilà revenue à Clair de lune me replonger dans mes souvenirs… Je reste dans le noir, n’ayant pas voulu ouvrir les volets sur la rue, et je vais laisser s’éteindre le feu.
Une voiture a stoppé et des exclamations enfantines s’élèvent pour signaler aux parents le panache de fumée qui s’échappe de la cheminée…
Ce que je redoutais depuis le début de mes équipées clandestines est survenu ! L’arrivée inattendue de ceux auxquels j’ai vendu la maison il y a un an viennent passer quelques jours dans ‘’mon’’ Clair de lune qu’ils ont baptisé d’un nom si banal… Week-end… J'vous demande un peu...
Affligeant !
Prise au piège je n’ai pas pris le temps de saisir mon sac et ils ne vont pas tarder à découvrir qui est leur visiteuse clandestine.
Après avoir vendu cette maison de famille dont personne ne pouvait plus s’occuper, j’avais le cœur si gros que, pendant des mois, j’ai rêvé que j’y retournais dormir. Cela a cessé lorsque j’ai rendu visite à mes acheteurs pour leur raconter cette histoire qui les a bien fait rire.