La parenthese
Hier etait un jour particulier, et je vous laisse lire si vous avez le courage d aller jusqu au bout...
Minuit ce mardi 29 septembre 2009
Une annonce générale par haut-parleur prévient les passagers du ms Volendam qu’un phénomène lumineux est visible dans le ciel.
Vous me connaissez : il n’en faut pas plus pour que j’enfile chandail et caban après avoir appelé dans sa cabine Joyce, qui préfère rester voir un film à la TV.
Le deck 8 est le lieu idéal d’observation, et j’y retrouve quelques visages connus. Accrochée au bastingage, je dois d’abord habituer mes yeux (mes pauvres yeux aurait dit ma mère) à l’obscurité, car les lumières du pont ont été éteintes.
Peu à peu, mon regard perçoit faiblement des lueurs étranges et mouvantes sur tribord, qui bientôt se précisent et s’étendent du NW au NE. De gigantesques draperies rouges ou orange avec des reflets roses s’agitent lentement, au travers desquelles les étoiles apparaissent faiblement. Venues du fond de l’horizon, des nuances jaunes et vertes apparues fugitivement laissent la place à une somptueuse palette de bleus.
Hypnotisée, sous le charme de ce fantastique show offert par la Nature
Le deck s’est peu à peu vidé des autres passagers que je trouvais trop bruyants, mais qui étaient peut-être un peu las ou blasés, et je reste seule sur ce pont à me remplir les yeux
La mer s’est creusée, la brise qui a forci jusqu’à devenir vent de tempête, semble venir d’une autre direction… ou bien est-ce le navire qui a changé de cap ? Vaille que vaille je me cramponne au bastingage, bien décidée à jouir jusqu’au bout de l’aurore boréale dont les mouvements se sont accélérés.
Est-ce une illusion ? Une colonne sombre et sinueuse semble s’élever dans la pénombre bleue que le ciel diffuse et un son grave et prolongé en émane. Fascinée, je ne cherche nullement à m’enfuir, intriguée par ce phénomène nouveau qui s’approche en grondant…
Comment ai-je pu être aspirée par cette tornade liquide ? Mes mains ont lâché la rambarde, je suis arrachée au pont du bateau comme saisie par un bras gigantesque… Je suffoque et ne respire que de l’eau salée. Je sombre dans un néant glacé avec une seule idée : je suis arrivée au bout de mon chemin et ne raconterai pas mon voyage à mes petits-enfants ravis… puisque je vais mourir sans avoir vu le Japon !
Je ne suis plus qu’un bloc rigide et douloureux, au-dessus duquel des voix me parviennent qui semblent venir de très loin dans un silence ouaté, je tente en vain de soulever une paupière avant de sombrer à nouveau.
… Mon corps chaud et nu repose dans un nid de fourrures qui empestent le poisson. Trois jours déjà qu’un pêcheur eskimo m’a retrouvée, gisant sur la grève de Sheima Island, une île si petite que la piste de l’aérodrome couvre la moitié de ses 4 miles 40 miles
Eskimo = vient du franco-canadien esquimau lui-même dérivé de l’algonquin askimowew qui signifie mangeur de poisson.
Vous avez compris que cette odyssée n’avait aucun risque de se réaliser puisque rien ne pouvait m’arriver le 29 septembre 2009 : la ligne du changement de date nous ayant fait passer du 28 au 30 septembre, et ce texte aurait pu porter le titre :
Le jour que je n’ai pas vécu
§
Mercredi 30 septembre
Nous allons comme chaque jour, retarder nos montres d’une heure, ce qui nous fait quatorze heures de décalage avec la France la Nouvelle Calédonie.
Je crois comprendre pourquoi mes connexions Internet sont parfois si compliquées : il n’est pas toujours possible de capter à la TV
Ce matin encore, pas de rendez-vous à la piscine avec Joyce à 8 h, je me suis fait servir le breakfast par le service-room et je tire la flemme pour essayer de me remettre les vertèbres dans le bon sens.
Esther la Canadienne
« Vous savez, pour beaucoup de Canadiens, leur grosse voiture est leur troisième testicule ». Malicieusement, elle a ajouté « Mon mari a une Mercedes S 230, dont il n’y a que quelques exemplaires au Canada ! »…
Nous nous sommes une fois de plus retrouvées au Culinary Arts Center à suivre une démonstration de desserts philippins, suivie de dégustation, of course.
Le tea-time réunit les gourmets autour de thés raffinés, de pâtisseries délicates… et nous trouvons l’occasion de reparler avec son mari de leurs ascendances indiennes, évidentes pour chacun d’eux, et que confirment les recherches ADN pour la plupart des Canadiens qui les ont faites. Il n’est pas facile de retrouver la trace des géniteurs, les prêtres de l’époque qui tenaient les registres considéraient comme infâmant le fait que l’enfant baptisé n’était chrétien qu’à moitié : sans états d’âme, ils falsifiaient donc l’identité du parent non « orthodoxe », un peu trop… coloré à leur goût.
Le show de ce soir était un récital de clarinette donné par Larry Linkin, sexagénaire sémillant et talentueux, dont le jeu velouté soutenu par un orchestre de six musiciens a été un régal de virtuosité.
Après dîner, finale du concours de talents entre trois concurrents : une Anglaise à la voix puissante et harmonieuse, une lady qui, a capella a chanté pour son mari un vibrant cri d’amour (54 ans de mariage), et enfin un jeune crooner Japonais aux chaudes inflexions « presleyiennes ». C’est Debbie qui a gagné.
J’ai failli aller nager dans la piscine à minuit pour célébrer le passage officiel de la dateline et ainsi obtenir un diplôme, assurément le dernier de ma vie, marquant l’événement. Mais en revenant dans ma cabine me mettre en tenue, j’ai trouvé sur mon lit le dit diplôme, et j’ai laissé les volontaires aller seuls à la patouille !
A demain