Question de mémoire
Question de mémoire
Je pense que vous en avez assez des œuvres de John Salminen mais que voulez-vous, elles me posent toutes des questions auxquelles j’essaie de répondre.
Si vous m’aidiez, vous aussi à y répondre, ce serait gentil.
Mais ce serait trop simple.
Il faut d’abord trouver quelles questions posent l’œuvre, et je sais qu’elle ne pose pas les mêmes à chaque observateur.
Puis, quand vous avez enfin une question qui vient, il reste à y répondre…
J’aimerais que vous commenciez votre devoir par « Ce fut un chagrin désordonné », comme écrit Maupassant dans « Un cœur simple ».
Ce serait chouette aussi que vous le terminassiez sur « Le centre du combat, point obscur où tressaille la mêlée, effroyable et vivante broussaille, » comme disait Victor Hugo dans « L’expiation »
J’eusse aimé que vous y casassiez aussi le célèbre « L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. »
‘’Ce fut un chagrin désordonné…’’
Je marche à travers le parc en essayant de me souvenir des répliques que je vais devoir déclamer à la répétition de la fête de fin d’année du collège. Ne comprenant rien au galimatias imposé par Mademoiselle Jeanne notre professeur de français qui nous ‘’initie au théâtre’’ comme elle aime à dire, je suis tentée de faire demi-tour, tant je me sens peu à la hauteur de ce qui m’a été imposé… La prof m’a bien eue en me laissant croire qu’étant la meilleure en poésie, il est normal qu’elle m’ait choisie pour le rôle principal. Ma mémoire ne parvient plus à coordonner mon texte auquel, il faut bien le dire, je ne comprends rien !
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme…
Je suis si absorbée à faire fonctionner mes neurones que je manque de tomber tant le sol enneigé est glissant.
Une idée ma traverse soudain l’esprit : si je retourne à la maison en toussant, je ferai croire à Maman que j’ai pris froid et que je suis aphone ! Je n’aime pas mentir, mais il y a parfois des raisons impératives, non ? Tant pis pour le théâtre qui devra être annulé demain, faute de trouver une remplaçante capable de reprendre le rôle.
Et c’est le cœur léger que je tourne le dos au collège et à Mademoiselle Jeanne. Mais, miraculeusement, me reviennent soudain en mémoire les mots ultimes de ce pathos que j’ai eu tant de mal à faire entrer dans ma cervelle.
Je ne peux me dérober et décevoir les compagnes et la prof qui comptent sur moi pour la réussite de cette pièce de théâtre. Avec détermination, je vais donc courir vers le collège où elles m’attendent sans doute déjà…
Le centre du combat, point obscur où tressaille la mêlée, effroyable et vivante broussaille.