A nous deux Paname ! Vous n’habitez pas forcément
A nous deux Paname !
Vous n’habitez pas forcément Paris, pas plus que vous n’en êtes autochtones.
Néanmoins, je suis sûr que vous savez ce qu’est la Tour Eiffel.
Peut-être même l’avez-vous gravie.
À moins que l’ascenseur, plus dispendieux mais plus reposant, ne vous ait fait découvrir sans effort Paris vu d’en haut.
J’en déduis que vous avez probablement quelque souvenir à raconter ou quelque opinion à nous faire partager.
Votre imagination sera sûrement sollicitée par cette aquarelle de John Salminen…
À lundi, d’accord ?
J’ai vingt ans et je vais à Paris pour la première fois… Mon billet ‘’congés payés’’ A/R bénéficie d’une réduction de 30 % et j’ai tout juste 2 (anciens) francs en poche. Sur le quai de Montparnasse, des hommes crient ‘’taxi’’. Je laisse l’un d’eux s’emparer de ma valise, car, naïvement, je crois qu’il va me conduire aux pieds de la Tour Eiffel où je suis attendue, rue Elisée Reclus. Ce porteur va me réclamer les quarante sous de ma fortune, et je n’ai pas de quoi payer le taxi.
Tante Louise a prévenu la concierge qui guette mon arrivée et paye le chauffeur, à mon grand soulagement.
J’ai eu le temps de voir la Dame de Fer presque par en-dessous ses jupons tant elle est proche et je suis effarée de la voir si impressionnante. Notre pont transbordeur nantais est un jouet en comparaison ! Tante Louise est gouvernante dans une famille bourgeoise qui a pris ses quartiers d’été dans son castel normand et elle a l’autorisation de m’accueillir. Nous dormirons dans sa chambre du 6e étage d’où je peux repaître mon regard de cette tour qui m’a fait tant rêver… Elle n’est pas illuminée la nuit.
Le poste de télévision à l’écran aux angles arrondis qui trône au salon (le premier que je vois) est surmonté d’une petite antenne intérieure, la proximité de la Tour le permet, qui est équipée de l’antenne principale pour Paris.
Mais la première image télévisée que je verrai, c’est à la terrasse d’un restaurant fameux et elle me déçoit profondément : comment ? La télé n’est pas en couleurs !
L’ascension de la grand Dame de Fer a dû être faite dès le lendemain : nous sommes montées par les escaliers et avons pu TOUT visiter en regardant Paname de haut ! Sur le Champ de Mars, des crieurs de journaux annoncent la mort d’Eva Peron lorsque nous descendons.
J’ai appris à prendre seule le métro et pars à la découverte. Montmartre et sa place du Tertre : les rapins qui exposent ont vraiment peint leurs toiles qu’ils ne font pas encore venir de Chine.
Dans la Seine, on pêche des écrevisses ! Les bouquinistes qui aiment accrocher le client ne sont pas insistants mais peuvent être disers. Le Louvre et ses trésors me comblent. J’ai même été voir le fardier de Cugnot aux Arts et Métiers ! La visiteuse que je suis monte au sommet de l’Arc de Triomphe et embrasse les Champs Elysées…
Je n’ai pas croisé Sacha Guitry qui habite pourtant rue Elisée Reclus.
Les deux semaines de congés payés de l’époque ont vite passé, et il a bien fallu rentrer pour reprendre le travail…
J’ai vingt ans, je porte des lunettes, mes cheveux sont serrés en chignon, je m’habille de gris et ne suis pas une rigolote…
NB – Je me suis bien rattrapée depuis et je dévore la vie avidement !