Du rififi chez les dames
Du rififi chez les dames
Du rififi chez les dames ou autre chose ?
Cette toile de Jack Vettriano amène tant de questions…
Qu’en pensez-vous ?
Mais qu’est-ce qu’il croit ? Qu’elle serait à nouveau l’épouse obéissante et incolore de l’avant-guerre… comme l’avait aussi été sa mère, une carpette qu’il foulerait aux pieds ? Lorsqu’il était parti au front en septembre 1939, il lui avait laissé un carnet rempli de recommandations qu’au fil du temps, elle avait fini par jeter aux orties tant elle avait le sentiment qu’il la prenait vraiment pour une idiote incapable et elle en fut révoltée.
Avait-il donc oublié que pendant les cinq ans de captivité qu’il avait passées dans un stalag, puis dans une ferme du Gross Reich, sa femme avait dû prendre le relai pour choisir la meilleure de toutes les décisions importantes concernant la vie familiale, démêler les tracasseries administratives, se battre pour trouver de quoi nourrir (parfois en ayant recours au marché noir) une nichée affamée ? A l’usine papetière où elle avait décidé de reprendre son ancien poste d’avant-guerre, ses collègues, pour la plupart elles aussi femmes de prisonniers se trouvaient confrontées aux mêmes complications et elles se soutenaient mutuellement.
Savait-il seulement comme elle avait dû se montrer forte devant leurs enfants durant les bombardements alliés pendants lesquels elle les enveloppait de ses bras dans l’abri où ils se réfugiaient les nuits d’alerte ?
Elle avait pris de l’assurance, et ne tenait plus compte des conseils que le prisonnier glissait dans les rares courriers autorisés qu’elle recevait, et chaque jour qui passait la confortait dans son rôle de chef de famille.
Son vieux papa qui n’avait jamais fumé de sa vie avait, comme tous les Français majeurs reçu une « carte de tabac » qu’il avait failli refuser, avant de la proposer à sa fille qui pourrait en faire un objet de ‘’troc’’ contre de la nourriture ou autre chose… Trois fois par mois, elle allait ainsi acheter sa ‘’décade’’ de mauvaises cigarettes brunes qui était attribuée aux fumeurs.
Un soir de spleen, les enfants couchés, elle avait allumé une cigarette et s’était servi un verre d’apéritif-maison (des feuilles de pêcher macérées dans du vin rouge et ‘’amélioré’’ avec un peu de gnôle) et elle s’était sentie revigorée.
Elle prit ainsi l’habitude de se soutenir le moral en écoutant la BBC quasiment inaudible à cause du brouillage.
Puis les hostilités avaient pris fin avec la défaite du nazisme et le retour des prisonniers. Elle avait eu du mal à reconnaître son mari tant il était éclatant de santé et gras à souhait : visiblement, la vie à la ferme lui avait réussi et il était évident qu’il n’avait pas souffert de privations durant sa captivité.
La joie du retour fut brève. L’homme avait voulu immédiatement reprendre les rènes du pouvoir et il s’était heurté à la volonté farouche d’une épouse qu’il ne comprenait plus…
Le comble fut le soir où il la trouva attablée dans un coin de la cuisine devant un verre de rouge qu’elle sirotait avec délectation en fumant une cigarette. La radio diffusait la voix forte de Georges Guétary qui chantait la dernière scie à la mode ‘’On m’appelle Robin des Bois…’’
Vaincu, il n’avait rien dit et s’était dirigé vers la maison voisine où vivait sa vieille mère qu’il savait pouvoir encore dominer : son orgueil de mâle ne pouvait supporter sa défaite conjugale.
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Combien de maris ont dû renoncer à leurs prérogatives au retour de captivité ? Leurs épouses avaient dû faire ‘’tourner la machine’’ en leur absence… et certains ne s’en sont pas remis !