Ballade sur canapé
Ballade sur canapé
Mais que diable peut-il bien lui raconter ?
Où veut-il en venir.
Qu’attend-elle ?
Que pense-t-elle de sa ballade ?
À l’instant je n’en sais rien.
Grâce à vous j’espère en savoir plus lundi sur ce que vous inspire cette toile d'Aldo Balding.
Jeanne semble regarder l’homme avec une attention soutenue, mais il y a longtemps que son esprit s’est évadé vers des paysages et des lieux qu’elle a parcourus durant son adolescence et si elle sourit parfois, ce n’est pas aux discours de ce raseur qui l’ennuie jusqu’à la nausée.
Non. Mais ce matin même, elle a entendu à la radio Yves Montant chanter ‘’A bicyclette’’ et une onde de bonheur lui est soudain revenue en mémoire. Elle s’est revue l’année de ses quinze ans, pédalant avec ses frères et leurs copains sur les chemins creux de la campagne où ils passaient leurs vacances d’été… Les garçons entonnaient à pleine voix la chanson alors en vogue et ils avaient fini par l’appeler Paulette, comme l’héroïne, et ce d’autant plus qu’elle était la seule fille du groupe. Elle savait bien que deux ou trois des copains étaient amoureux d’elle, mais elle avait assez de jugeote pour n’en laisser rien voir, pas plus qu’elle n’aurait voulu ni encourager, ni décourager aucun d’eux, son statut de ‘’reine inaccessible’’ lui conférant un statut prestigieux…
De temps en temps, Jeanne abandonne Paulette, redevient elle-même et hoche la tête avec conviction, ce qui encourage l’homme qui n’en demande pas plus et reprend de plus belle son monologue, sans s’apercevoir qu’il s’adresse à un mur. Car visiblement, il s’écoute parler, se grise de ses mots, utilisant des tournures ampoulées qu’il pense ‘’académiques’’, mais les oreilles de son interlocutrice restent fermées, car son esprit est reparti sur les petits chemins de terre où leur petite bande pédalait avec l’enthousiasme de leurs quinze ans…
Jeanne a senti son regard s’embuer d’émotion et elle s’est brusquement levée pour aller respirer au jardin, laissant l’homme surpris et d’autant plus décontenancé qu’ll termine juste une question dont elle n’a entendu que la fin : ‘’… romantique ensemble sur le Rhin ?’’
Que croit-il ce fâcheux ? Qu’elle serait sensible à ses faux-airs à la Werther qui la ferait succomber à l’Or du Rhin ?
Jeanne est pour le reste de la soirée, redevenue la Paulette de sa jeunesse et elle se sent heureuse… si heureuse…