Scène sur un parking
La bagnole du macho
Sur le parking de l’hyper où je fais mes courses deux fois par mois, j’ai été le témoin d’une scène que je croyais faisant partie d’un passé dépassé : un homme insultait grossièrement son épouse qui n’avait pas garé la voiture aussi bien qu’il l’aurait fait. Je dois dire qu’en effet, la portière très large côté passager ne pouvait s’ouvrir aussi largement que Monsieur l’aurait voulu parce que l’espace que lui avait laissé la conductrice était restreint (même s’il avait pu s’extraire de la voiture sans difficulté). J’ai compris que Madame conduit habituellement une voiture plus petite, et donc celle qu’aujourd’hui elle pilotait était la « bagnole de Monsieur »…
Je ne m’en suis pas mêlée, pas plus que les autres clients impavides qui poussaient leur caddie, mais cet incident m’a remis en mémoire une histoire qui, vieille de quarante ans, pourrait être encore d’actualité.
J’avais passé une après-midi avec une amie de jeunesse retrouvée par hasard au cours d’un séjour de vacances. Nous avions fait le tour des événements de notre vie d’adultes et la conversation était tombée sur Jeanne sa sœur aînée qui avait vécu une étrange situation. Mariée avec un homme autoritaire qui considérait son épouse comme une servante qui devait obéir, celle-ci rongeait son frein et avait sans le dire passé son permis de conduire. Il faut dire que la voiture du ménage, une DS Citroën, la prestigieuse Pallas, était LA propriété exclusive de Monsieur. Jeanne avait un jour déplacé de quelques mètres la Pallas garée devant la maison pour laisser un énorme camion manoeuvrer aisément. Ce que Jeanne entendit le soir fit écho dans tout le quartier et le mari apprit en même temps que non seulement son épouse savait conduire, mais qu’en plus, elle avait obtenu son permis !
Le mari alors déclara que JAMAIS plus elle n’aurait l’occasion de poser les mains sur SON volant… Quand elle sortirait, ce serait avec lui ou bien elle prendrait son Solex. Il ne pouvait lui faire confiance et la Pallas avait coûté trop cher pour risquer un accident aux mains d’une balourde…
Et puis un jour, le macho fit un sévère AVC qui le laissa paralysé. Bien sûr, au début, ses copains se relayèrent pour sortir l’invalide et l’emmener à la pêche ou à la pétanque en tant que spectateur… Et au fil du temps, les visites se firent rares, puis les amis ne vinrent plus du tout.
Combien cela dut être difficile au monarque déchu de suggérer à l’épouse de sortir la voiture pour qu’ils puissent s’aérer un peu à la mer ou a la campagne.
Jeanne attendait l’instant et avait préparé sa réponse :
J’ai mon Solex et il me mène où je veux. Tu n’es pas bien à la maison ?
La Citroën est restée plusieurs années dans le garage. Devenue enfin veuve, elle la vendit pour s’acheter une Peugeot 205 Roland Garros avec laquelle elle n’a jamais eu d’accrochage !