Miss Sarah est en colère
La colère
Mais qu'a donc bien pu écrire Saul Smitger à Miss Sarah
pour que celle-ci soit si en colère ?...
Je compte sur vous pour enquêter. Vous ragoterez lundi !
Hors d’elle, Miss Sarah trépigne, hurle, et je n’ai pas encore compris pourquoi. Elle habituellement si douce, si calme a ce matin refusé de me laisser la coiffer et donner à sa chevelure les cent coups de brosse quotidiens. Elle vomit le nom de Lord Smitger (elle dit Saul, mais personne d’autre que lui ne porte ce prénom) et le voue aux gémonies. Qu’a-t-il pu écrire qu’il la mette dans un tel état ? La lettre froissée est en boule sur le tapis, mais Miss Sarah s’en est saisie avant moi lorsque j’ai voulu la ramasser…
D’un geste désinvolte qu’elle n’a jamais eu auparavant, elle m’a congédiée entre deux sanglots, moi sa camériste, disant qu’elle n’avait plus besoin de moi avant ce soir au coucher.
Dans le corridor, Mrs Johnson, la gouvernante sortait juste de la chambre de Madame la Comtesse ; elle semblait désemparée d’entendre Miss Sarah crier aussi fort, mais elle a fait semblant de rien en me croisant. Il faut dire que Mrs Johnson est à ce point rigide qu’elle pense qu’imiter les attitudes de la haute société qu’elle côtoie depuis ses jeunes années lui donne une distinction digne d’une lady. Je l’aime bien, parce qu’elle est gentille et indulgente avec nous le petit personnel, mais pourquoi se tenir aussi raide et compassée ? Visiblement, elle connaît la raison de l’emportement de notre jeune Miss Sarah, mais il ne faut rien espérer de son côté pour avoir la moindre idée de ce qui lui arrive.
Bouche cousue est sa devise.
Dans le petit salon, j’ai croisé Mister Lewis, le majordome qui sert la famille depuis plus de trente ans. Il m’a fait signe de me taire en désignant le valet de Monsieur le Comte et la fille de cuisine qui nettoyait les cendres de la cheminée. Visiblement, il me croit dans le secret alors que j’ignore tout, mais je préfère lui laisser ses illusions.
En revanche, Edward, le valet de chambre de Lord Smitger, a longtemps travaillé à Grosvenor Manor avec Peter, notre laquais, et il suffit d’attendre dimanche prochain pour qu’avant la messe, ou après, les deux amis se retrouvent et la clé du mystère nous sera donnée…
§
Je me suis trompée, Edward n’a pas mangé le morceau…
Hercule Poirot saura-t-il le faire parler ?