Derrière la porte
Lakévio lakevio@canalblog.com nous a proposé cette image sur laquelle nous devons broder chaque semaine
Dans ces années cinquante, nous étions une bande de galopins qui se retrouvaient le jeudi, jour de congé à l’école.
Nous étions cinq, trois garçons et deux filles. Il y avait Jojo notre chef, Francis et Alain, que nous n’avons jamais appelé autrement que Lainlin. Sa soeur Odette et moi complétions la joyeuse équipe, et lorsque les garçons jouaient à la petite guerre, nous devenions infirmières pour panser les plaies des combattants.
Nos jeux n’avaient rien à voir avec ceux des héros de « La Guerre des Boutons » ce livre qu’aucun de nous n’avait encore lu. Nous aimions par exemple passer par le cimetière du vieux quartier où nous habitions, et nous aimions fouiller dans le bac près du robinet et des brocs mis à la disposition des visiteurs venus fleurir leurs défunts. Il y avait toujours des fleurs qui avaient été jetées, auxquelles nous les filles redonnions vie en ôtant leurs pétales trop fanés.
Avec nos bouquets ainsi récupérés, nous faisions alors notre tournée habituelle, déposant avec gravité nos fleurs sur les tombes abandonnées, parce que les concessions à perpétuité avaient parfois vu leurs bénéficiaires disparus à jamais…
Notre petite bande était tellement fière de ce partage !
Nous descendions souvent aussi vers la rivière, un torrent dont le lit était encombré d’énormes roches arrondies, et qui abritait des truites arc-en-ciel.
Mais ce jour-là, Jojo tout excité était venu avec le vélo de sa mère. Il avait trouvé dans la poche du bleu de chauffe de son père cheminot la clé qui devrait ouvrir l’étroite porte qui donnait sur la voie ferrée.
Jojo tenait à préciser que son père était cheminot, et surtout pas chemineau… (ce mot oublié de nos jours désignait alors un vagabond).
Nous allions enfin voir le tableau de commande des aiguillages dont le père de Jojo avait la responsabilité, car la ligne ferroviaire venait d’être récemment électrifiée, et le papa tout fiérot aimait décrire à sa famille la complexité des connexions qui permettraient aux « locos » d’emprunter telle ou telle voie plutôt que telle autre.
Jojo exultait à l’idée nous nous prouver que l’auteur de ses jours avait un rôle essentiel. Même s’il n’était pas tout à fait Dieu le Père, son rôle était primordial…
Mais nous avions peu de temps, car il fallait vite aller remettre la clé à sa place.
Nous sommes restés sur notre faim : la clé subtilisée n’a pas ouvert la petite porte et nous n’avons pu admirer le tableau de commande du chef des aiguillages grâce auquel les trains arrivaient à l’heure à destination.
Penauds, nous sommes rentrés chacun chez soi tandis que Jojo enfourchait le vélo maternel pour remettre à sa place la clé inutile…