Evangéline et le drame acadien
Pourquoi me suis-je mis en tête que la ville d’Evangéline était Martinville ? Pour y être déjà venue deux fois, mes souvenirs ont dû se télescoper avec un autre endroit !
Je m’apprête à faire amende honorable à Annick mais elle ne m’en laisse pas le temps et m’aborde l’œil sombre et la bouche amère pour me faire remarquer que c’est elle qui avait raison…
Déjà la veille nous avions eu un clash quand, dans notre chambre, elle avait parlé de « nos ancêtres acadiens déportés », je lui avais fait remarquer que ni elle ni moi n’avions d’ancêtres acadiens… Il n’empêche : Annick tient à « ses » ancêtres.
L’église de Saint Martinville est modeste, peinte en blanc et jaune pâle. Dans le jardin qui l’entoure, la statue d’Evangéline semble authentifier la réalité du mythe imaginé par Henry Longfellow dans son poème épique qui relate la terrible déportation des Acadiens depuis le Canada jusqu’en Louisiane. Cette légende a pris tant de consistance qu’il est probable que beaucoup pensent à la réelle existence d’Evangéline. Le long poème raconte qu’elle fut séparée de Gabriel son grand amour lorsqu’ils furent chassés d’Acadie. Elle devint infirmière, puis retrouva Gabriel qui, moribond, mourut dans ses bras et elle en devint inconsolable…
Mais une autre version dit qu’Evangéline attendit des années à St Martinville sous un chêne vert qui est devenu gigantesque, et que si Gabriel revint, lui, s’était marié et était devenu père de famille. Elle en mourut de chagrin.
Vous choisirez l’un ou l’autre de ces dénouements selon votre sensibilité...
Le chêne d’Evangéline est incontournable et ses branches gigantesques s’étendent largement, donnant un ombre fraîche à ceux qui auraient la velléité de s’y reposer. Je n’étais jamais entrée à l’intérieur de l’église où je retrouve les saints familiers : notre roi Louis IX (St Louis), Jeanne d’Arc la Lorraine, la petite Thérèse de Lisieux… et même la grotte de Lourdes est reconstituée sur l’un des côtés. Saint Martin en soldat romain casqué qui a donné son nom à la ville, n’a pas encore coupé la moitié de son manteau pour le pauvre homme grelottant de froid qu’il a rencontré, mais il a déjà le glaive à la main et montre le ciel d’un index impérieux. Un drapeau américain est accroché juste à côté de la statue.
Il y a une Amérindienne dans le panthéon des saints de l’église. Serait-ce Katrini, celle qui a été canonisée et dont j’ai entendu parler pour la première fois au Québec ?
St Martinville enterre aujourd’hui son héros local, l’ancien capitaine des pompiers, mort à 76 ans, que tout le monde semble regretter. De nombreux véhicules sont de sortie tous feux clignotants et on rubane de noir chacun d’entre eux en signe de deuil. Une limousine attend la famille et la brigade en grande tenue s’apprête à défiler pour la levée du corps.