Hommage à Hervé
Hervé est parti en motard, vêtu de sa chemise préférée, d'un jean, du caleçon rigolo que lui avait offert sa soeur et de ses bottes, que son fils Thibaud avait si soigneusement cirées ! J'ai porté son deuil en blanc, et chacun de nous s'était habillé comme il nous aimait.
J'ai passé des heures à préparer le diaporama qui, au long de la cérémonie, allait rappeler à l'assistance quel personnage surprenant il était... et les rires ont souvent fusé ! J'ai eu assez de force pour prendre la parole après Hélène, qui, la voix étranglée, a dit le poème en vers libres qu'elle avait composé pour son frère.
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Hervé mon fils, mon petit garçon
C’est le premier chagrin que tu me fais. Je veux croire que là-haut, le Grand Architecte de l’Univers a interverti nos fiches puisque c’est toi qui devrais être à ce micro pour me dire adieu.
Tu n’as pas pu hélas ! échapper à la malédiction qui frappe dans sa chair la famille de Jacques ton papa et la maladie a fini par gagner. Ce qui te chagrinait, c’était de penser à la peine que ta mort causerait à ceux qui t’aimaient.
A une question que t’a posé le médecin, tu as répondu « Je suis prêt » mais c’est la vie qui s’est accrochée à toi pour encore quelques heures. Tu as gardé ton humour jusqu’à la fin et attendu Pierre auquel tu as souri et levé le pouce en reconnaissant sur son T-shirt un petit personnage de votre jeunesse. Tes dernières heures t’ont enfin permis d’entamer paisiblement ton voyage vers les astres, entouré de tous ceux qui t’aimaient.
Tu as eu tant de passions ! Ta petite famille d’abord, Florence, Lucien et Thibaud, la plongée en mer, les motos (ah ! les Béhemme), l’astronomie, la photo, la musique… Mycologue averti, tu as vécu tout cela à fond, tout comme ton engagement de syndicaliste. Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nos joutes verbales étaient un jeu dans lequel aucun de nous ne cherchait à convaincre l’autre.
J’ai réalisé il y a quelques années que le chagrin est soumis à une drôle
d’arithmétique : ce n’est pas parce qu’on est nombreux à le partager qu’il est moins lourd à porter pour chacun.
Enfin tu vas savoir et tu auras les réponses à tes questions. Tu vas maintenant enfourcher ta béhemme et filer voir les étoiles, les aurores boréales et les trous noirs de près. Tu y retrouveras Jacques ton papa, François ton compère, et vous préparerez pour nous le méchoui quand viendra notre tour... Ne roule pas trop vite… et n’oublie pas ton cromwell.
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Puis Luc son ami de trente ans, a voulu lui aussi, témoigner :
Hervé
Dans la fièvre de nos vingt ans, souvent nous cherchions où était le coeur battant de la ville, quand tout le monde était couché la nuit. Au delà des circuits classiques, des salles de spectacle, des fêtards et des buveurs, il y avait bien entendu, le périmètre du drame nocturne : le commissariat de police et les urgences hospitalières qui ne dorment jamais.
Mais un autre lieu secret qui veillait sur la grande ville, c'était chaque nuit l'imprimerie des journaux transmis par fax depuis les rédactions parisiennes, à Saint-Herblain.
Nous aimions aller y voir les énormes rotatives gronder en faisant trembler le sol, et notamment les soirs de grands événements, de soirées électorales, pour y lire avant tout le monde les nouvelles du lendemain, dans une profusion de papier frais. C'est là, il y trois décennies, que nous le retrouvions, avec son bon sourire entendu : Hervé. Les mains maculées d'encre, il se faisait serrer la main avec le poignet. Toujours le sourire.
Pendant tant d'années, si vous avez lu Le Canard Enchaîné, La Tribune de la Loire-Atlantique, Libération ou l'Humanité, dans un vaste périmètre entre Angers, Poitiers, Brest et Saint-Brieuc, c'est lui qui a imprimé votre journal, nuit après nuit.
Lui, Hervé, imprimeur hautement qualifié, ouvrier du Livre, travailleur de nuit, syndiqué CGT, enfant du quartier populaire de Chantenay à Nantes.
Ouvrier syndiqué du Livre, c'est une qualité exigeante qu'Hervé a tenue à bout de bras, donnant très souvent de son temps libre pour aller épauler les salariés en grève dans les autres entreprises. C'est ainsi que je me souviens encore d'Hervé occupant joyeusement avec ses camarades une grosse imprimerie de labeur située près du Pont Saint-Mihiel.
Beaucoup plus tard, en 1993, nous devions nous retrouver comme voisins avec Florence et leurs garçons, Lucien et Thibaud, habitant presque la maison d'en face.
Hervé a été le meilleur des voisins, serviable et le meilleur des amis. Pour moi, Hervé c'est l'esprit même de la classe ouvrière nantaise, de la Nantes populaire, instinctivement rebelle et révolté contre tous les abus de pouvoir, contre tous les mensonges de ceux qui profitent, et avec ça les pieds sur terre, sensé et fraternel dans la solidarité.
Salut mon ami.
Avec Florence
Frangin-frangine
Avec Pierre son alter ego
Départ pour l'école en 1963
Flo le mousaillon, Pierre la gourgandine, Hervé le Blue Brother et la statue de la Liberté aimaient faire la fête !
Le p'tit oiseau va sortir !
Encadré !
Trois fois trois
C'est pour cette nuit !
Flo la Douce
Merci à vous qui m'avez lue de m'avoir permis de me libérer de ce trop-plein d'émotions. Ceci est le point final de cet événement si douloureux.
Je vais reprendre le cours de ma vie et ce blog va m'y aider.