Une nuit en Dominique
12 mai
Nous entamons la traversée du canal de la Dominique, dont la mauvaise réputation est justifiée : les courants marins venus de l’Atlantique forcent le passage entre les îles et je suis prévenue : ça va bouger !
Pour l’heure, je m’assois où le captain m’a dit et je me fais oublier. Tant que nous sommes sous le vent de la Martinique, la mer est relativement calme, mais elle se creuse fortement dès que le Gros JeF a passé Macouba, la pointe Nord de la Martinique.
C’est plus fort qu’elle : dès qu’un voilier est en vue, Hélène n’a qu’une idée, le remonter, et le plus souvent, elle a la satisfaction d’être vainqueur !
Pendant plusieurs heures, une chanson me trotte dans la tête, succès que Réda Caire susurrait à la radio dans les années 40 et la seule que connaissait Lucien, un de mes cousins dans les noces et banquets:
Bercés par la houle
Ah ! qu’il fait bon voguer
L’instant qui s’écoule
Nous semble plus léger…
Je vous fais grâce du reste !
La vedette des Douanes ne nous a voulu aucun mal, et la navette que j’aurais dû prendre hier revient déjà.
Le sonar ne peut lire la profondeur sous la quille, mais les cartes indiquent 1.200 m. Qu’il y ait 3 mètres ou 3.000 quand on ne sait pas nager où est la différence ? Et quand on sait, l’essentiel n’est-il pas de se maintenir à flot !
Gros JeF gîte, sous la maîtrise en duo de sa barreuse et du maître de ses voiles, et on pourrait s’attendre à voir surgir sa quille hors de l’eau… mais non ! si JeF penche, c’est qu’il aime ça et il fonce à pleine vitesse (moins de 10 nœuds quand même !)
La Dominique a Roseau pour capitale, mais c’est à Portsmouth que nous allons passer la nuit. Une vedette arrive pour proposer une bouée où s’amarrer contre redevance, mais le fond permet que l’on mouille l’ancre, et l'homme n'insisite pas. Bernard et Hélène connaissent bien la Dominique où vivent les tous dernier Caraïbes ayant échappé aux colonisateurs. Ce peuple à l'origine venu d'Amérique du Sud a massacré les Arawaks qui les avaient précédé et occupé les Antilles auxquelles on a donné leur nom. Quatre volcans ont sculpté son relief et dans la Vallée de la Désolation se tient le 2ème plus grand lac d’eau bouillonnante du monde, qui s’est installé dans un cratère de 100 m de diamètre. En fait, l’eau semble bouillir (mais elle est toutefois proche de 100°) et ce sont les gaz qui s’échappant du fond qui donnent l’illusion. Cependant, des bactéries hyper thermophiles et acidophiles vivent dans ces eaux.
Mais il n’y a pas que cette vallée de la Désolation aux exhalaisons soufrées qui empêchent toute vie végétale : l’île reste sauvage et en dehors des circuits touristiques. Une forêt luxuriante, des rivières et des cascades font tout le charme de la Dominique, indépendante depuis quelques années, mais qui dépend encore toutefois du Commonwealth. A ceux qui se posent la question de savoir où est le plus grand lac bouillonnant, ce n’est pas à Yellowstone comme je l’aurais parié, mais en Hongrie, à 200 km de Budapest !
Faute de temps, nous ne pouvons aller à terre, il est impératif d’être à la maison demain soir. Et le captain s'est mis aux fourneaux...