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La Bourlingueuse
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8 mai 2013

Le 8 mai 1945 ce merveilleux jour de fête (suite)

 Tout notre groupe descendit pédibus vers le centre-ville en chantant, car les conducteurs de tramways célébraient eux aussi l’actualité, mais nous avions l’habitude de marcher… et nos pieds avaient des ailes ce jour-là ! Le coiffeur dont la boutique était au bout du boulevard de la Solidarité, mais sur l’autre boulevard, celui de la Fraternité, était juché sur une échelle, occupé à « tri coloriser » son magasin. C’est ainsi que, des années durant, les trois lettres C-o-i apparurent en bleu, f-f en blanc, e-u-r en rouge. Nous l’applaudîmes à grands cris…

Mon père avait pris sa bombarde, et soufflait dedans à s’époumoner. Ses soixante treize ans et son cœur malade n’entraient pas ce jour là en ligne de compte…Pendant des heures, il joua jusqu’à l’apoplexie, sans faiblir, et la foule suivait cet étrange « joueur de flûte » et sa musique aigrelette. Les gens avaient, comme nous, fait des efforts pour porter les couleurs de la France, et parfois, se sautaient au cou. C’était un débordement de jubilation, d’ivresse et d’exaltation librement lâchées. Des orchestres s’étaient spontanément formés et la foule dansait frénétiquement. Des drapeaux étaient accrochés un peu partout, et tous n’avaient pas été bricolés à la hâte, ce qui prouvait bien qu’ils avaient été soigneusement rangés depuis cinq ans.

S’il y en a eu, je ne me souviens pas avoir vu des GI’s américains. Des soldats français, oui, il y en avait, et aussi des jeunes gens arborant des brassards à croix de Lorraine marqués FFI. Ils avaient un grand prestige, et nous leurs disions merci de leur action contre l’occupant. C’est plus tard seulement qu’il faudrait séparer le bon grain de l’ivraie, car des FFI, il y en avait aussi eu de l’espèce dite « de la dernière heure », des opportunistes qui avaient profité des circonstances pour régler leurs comptes ou se refaire une virginité. On appellerait ceux-là les « fifis ». Les vrais résistants, eux, restaient discrets. Mais ce 8 mai, tout ce qui portait uniforme vrai ou faux, était congratulé, félicité, embrassé.

Mon père soufflait toujours dans sa bombarde et rien n’aurait pu le retenir, sauf l’arrêt cardiaque ! Dieu merci, le cœur tint bon et nous pûmes continuer à faire la fête avec la multitude en liesse. Les voisins s’étaient égaillés, mais notre groupe Guillemot-Milliou restait soudé dans la foule, et nous finîmes par arriver devant la cathédrale. S’il y a été célébré un Te Deum ce jour-là, il s’est chanté sans nous !

Les danses et farandoles de la foule colorée semblaient follement anachroniques à nos yeux puisque les Français, depuis longtemps, et par obligation, restaient sagement confinés chez eux, les bals étant interdits, sauf pour les mariages, et ils devaient finir très tôt. C’était un débordement de fol enthousiasme populaire que je n’oublierai jamais.

Est-ce soir là, ou le lendemain qu’il y eut la retraite aux flambeaux ? Je nous revois parmi la foule, Louisette, Aline (mes aînées de plusieurs années) et moi, dans la rue de Strasbourg, suivant ceux qui avaient des lampions. D’où les avait-on sortis, ceux-là ? « Sûrement de chez Peignon », déclara Louisette… C’est là que j’entendis ce nom pour la première fois, ignorant jusqu’alors que Joseph Peignon était un des piliers des Mi-Carêmes nantaises de l’avant-guerre, et loueur de costumes de surcroît, en inaction forcée depuis plusieurs années. Il ferait les beaux jours des soirées nantaises pendant longtemps encore, et, jusqu’en l’an de grâce 2002, vous pouviez encore aller chez Peignon, au 1 rue d’Erlon louer des costumes pour vous déguiser. Mais Joseph Peignon a-t-il fourni les lampions du 8 mai 1945 ? Il y en avait plusieurs centaines, et les bougies n’avaient pas dû être plus faciles à trouver, puisque tout manquait à notre vie quotidienne, et les coupures fréquentes d’électricité en avaient fait des produits de première nécessité.

Les parents étaient peut-être rentrés à la maison après cette folle journée, mais nous avions encore assez d’énergie pour nous égosiller avec le flot des Nantais réjouis. Les réverbères à gaz continuaient de dispenser une lumière avare, cependant la façade de la Société Nantaise d’Electricité arborait les trois lettres gigantesques de son sigle ourlées d’ampoules puissantes. C’était la première retraite aux flambeaux de ma vie, et je jubilais d’avoir pu y assister, voyant désormais mon avenir rempli de fêtes telles que celle que nous venions de vivre. Les maigres feux d’artifice, on devrait encore attendre les années suivantes pour en voir au 14 juillet, plus symboliques que lumineux, mais ils seraient le signe que nous recommencions enfin à vivre.

J’allais avoir treize ans, et cette journée reste pour moi un des sommets de mon existence, un moment particulier que je ne souhaite cependant plus revivre, et que vous avez, vous mes enfants, peu de chances de connaître : car le corollaire est que, pour savourer de tels instants, il faut avoir vécu auparavant de fichus quarts d’heures ! Et croyez-moi, dans cinq ans et neuf mois de guerre, dont quatre ans et deux mois d’Occupation, il y en a des quarts d’heures !

Pardonnez-moi si je vous ai ennuyés avec ce récit, mais je voulais que vous sachiez comment une petite fille avait vu à travers ses lunettes la fin d’une guerre mondiale qui avait fait tant de morts.

Royan, qui verrouillait l’estuaire de la Gironde n’est tombée que le 17 avril 1945. On appelait poches ces derniers carrés de résistance nazie. Hormis Brest, libérée le 18 septembre 1944, Lorient qui devait attendre le 10 mai 1945 et St Nazaire le 11 (trois jours après l’armistice) la Bretagne avait enfin respiré, et les bottes allemandes ne résonnaient plus sur ses pavés. Les Nazis s’accrochaient cependant aux ports où leurs bases sous-marines pouvaient abriter les U-boots qui faisaient encore des ravages en Atlantique sur les bateaux alliés.              

Les Allemands retranchés dans les poches s’étaient rendus sans coup férir, et la glorieuse armée du Gross Reich qui devait durer mille ans, devint, elle aussi, prisonnière à son tour. Et il faudrait des années pour que les Français sachent qu’en Algérie, ce même 8 mai 1945, des compatriotes avaient été massacrés qui deviendraient les premières victimes de ce qui n’était pas encore le FLN, mais qui commençait le combat pour son indépendance.

Ce jour a été le début de la fin de l’Empire Français tel que nous l’étudiions à l’école avec toutes ses colonies et possessions…

Soixante huit ans aujourd’hui…

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Commentaires
M
bonjour Blanche me voila de retour apres une longue absence forcee je suis heureux de te retrouver jespere que tu va bien bisous<br /> <br /> Marcel
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V
Bonjour Gwen<br /> <br /> Je te souhaite un très bon lundi<br /> <br /> Nos amitiés bises <br /> <br /> Qing&René
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V
Bonjour Gwen<br /> <br /> oui tu as raison, dans ton com<br /> <br /> Je te souhaite un très bon dimanche<br /> <br /> Nos amitiés bises <br /> <br /> Qing&René
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L
Ho oui Gwen je suis fier de mes parents et de leur comportement à cette époque. Ils étaient très jeunes mon père est né en Sept 26 et ma mère Février 27. Ils ont très vite résisté non par idéaux politiques mais pousser par la misère et la faim. Mon grand père paternel était fondeur et rapidement il n'y a plus rien eu à fondre...et mon grand père maternel était mort à la guerre d'espagne. C' est dire si rapidement il a fallu prendre des risques pour aller chercher à manger. Le reste est un enchainement classique. Bon week end.
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V
Bonjour Gwen<br /> <br /> Je te souhaite un très bon samedi<br /> <br /> Nos amitiés bises <br /> <br /> Qing&René
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