Guadeloupe... je t'aime !
Les Guadeloupéens ont au moins deux passions… Non ! Je ne parle pas ici du « ti-punch » : les combats de coqs et leur « Grenat » !
Les « pitts à coqs » (gallodrome est le nom officiel) ne sont pas rares en Guadeloupe, mais je pensais que les combats avaient été interdits et qu’ils n’étaient plus que des lieux devenus inutiles. Or, la loi permet qu’ils perdurent dans les régions où ils sont une tradition ininterrompue. C’est pourquoi lorsque j’ai accompagné Bernard chez l’une de ses patientes pour célébrer le Nouvel An au champagne et punch coco, j’ai été surprise que Paulette m’invite à un combat de coqs qui se déroulerait chez elle le 15 janvier, dans le pitt dont elle est propriétaire… Et elle était fière de dire qu’il viendrait des coqs de Martinique et même d’Antigua : « Ce sera une belle journée ! ». J’ai promis sans savoir si je pourrais venir, curieuse d’assister pour la première fois à un combat, alors qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de voir un match de boxe, même entre deux vedettes du « noble art ».
Paulette m’a placée sur les gradins à côté de Versini son mari, qui m’a expliqué les règles dans un français créole que j’ai fait semblant de comprendre pour ne pas le faire trop répéter. Bien sûr, le spectacle est dans la salle, et les paris se font dans un brouhaha ponctué de cris et des cocoricos de coqs impatients. Les billets de banque se tendent au bout des doigts lorsque les propriétaires présentent leurs champions. Car les paris ne sont pas officiels : chaque spectateur choisit son vainqueur potentiel et parie individuellement avec un autre spectateur, qui peut aussi bien parier sur le challenger avec son voisin, étant sûr dans ce cas de rentrer dans ses frais ! Trois « officiels » examinent et pèsent les coqs, qui combattent selon leur poids et leur âge, et les propriétaires déposent chacun une somme d’argent (j’ai entendu parler de 500 €) et le vainqueur empoche le tout (sa mise et celle du vaincu). C’est à ce moment que chaque coq est équipé d’ergots d’acier. Lorsque sonne la cloche, le public évacue l’arène, chaque coq est « présenté » à son adversaire avant d’être posé à terre pour que commence l’assaut. Il a été minutieusement préparé pour le combat, sa crête et les barbillons coupés, le ventre et les cuisses déplumés. Il a été longuement entraîné, massé comme un champion sportif… et probablement dopé par les produits vendus en coulisse ! Mais il ne sera pas mis à mort, et je n’ai pas vu de sang couler : de rares plumes ont parfois volé, et quand l’un des deux se couche par deux fois, il est déclaré vaincu. Un « pépé » propriétaire en chapeau comptait une liasse de gros billets lorsque je sortais…
Depuis si longtemps que connais « l’île aux belles eaux », je n’avais pas remarqué le nombre impressionnant de Motobécanes qui roulent sur les routes de campagne entre les champs de canne à sucre. Ces survivantes des années 1960 qu’on ne voit plus en métropole que dans les musées (et encore !) ont encore belle allure et sont la fierté de leurs pilotes, qui les bichonnent comme d’autres le feraient avec leur voiture de collection.
Pour être « in »,la Motobécanedoit être de couleur chaudron : la bleue est nettement moins cotée ! Mais ici, on l’appelle avec respect « La Grenat »… et avoir une Grenat… c’est le top ! Elle est choyée, astiquée, toilettée, entretenue par son propriétaire qui en parle comme il le ferait de sa maîtresse favorite. Et puisque toute chose précieuse suscite des convoitises, les vols ne sont pas rares et le dépossédé laisse couler toutes les larmes de son corps pour exprimer son chagrin. C’est ce qui est arrivé à Monsieur Fa… l’an dernier ; c’est pourquoi il laisse négligée la « Grenat » qu’il a rachetée, afin de ne pas prendre de risque. Plusieurs de ses cabris ont récemment disparu une nuit avant Noël : son cochon est désormais attaché par une chaîne sous un arbre. Il a sorti « sa Grenat » du hangar de tôle qui l’abrite et m’invite à l’enfourcher. Pari accepté !
Son épouse, prévenue de notre visite, a préparé pour moi une bouteille de schrub (rhum arrangé avec zestes d’orange, cannelle, gingembre, vanille) et des légumes pour Hélène et Bernard. C’est ça la simple générosité des gens « d’en bas ». Eux sont d’origine indienne, dont les ancêtres sont venus au XIXe siècle par contrat faire dans les plantations le travail que les esclaves Noirs affranchis refusaient. Certains purent retourner aux Indes au bout de cinq ans, d’autres furent « oubliés » sur place, et on les appela « coolies ». C’est ainsi que la cuisine créole s’enrichit des saveurs de cari et de colombo. Madame Fa… a perdu un œil après une banale opération ratée de la cataracte, mais j’étais prévenue : elle est l’image de l’éternelle bonne humeur !
Quel bonheur d’avoir rencontré au pitt Paulette et son mari et M. et Mme Fa… (j’ai oublié leurs prénoms, à ma grande honte)