L'amazone sous l'Equateur
Jour 8 – Océan Atlantique – en mer
Mercredi 12 janvier 2011
Un mal de gorge qui se précise. Je vais néanmoins faire un tour à la piscine… qui est fermée à cause du gros temps : même si le bateau reste stable l’eau de la piscine est agitée et il s’agit de la sécurité des passagers, sur laquelle la compagnie ne transige pas.
Je traîne un moment sur le pont avant de m’adresser à des Canadiens d’Ottawa pour savoir s’ils ont un journal canadien. Leur réponse : il n’y a qu’un journal en anglais pour tous, le New York Times.
Flora, une délicieuse très vieille lady toujours vêtue de façon extravagante passe et me sourit ; je lui parlerai sûrement un jour ou l’autre. Pourquoi ne pas rester dans la à cabine visionner le DVD Seznec ? Des larmes me montent aux yeux, même si j’ai déjà vu la plupart des documents qu’il présente, mais une chose y est révélée : la victime disparue, Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, était le président du comité qui décidait si les voitures neuves laissées par l’armée américaine dans le port de guerre de Brest, étaient ou non des voitures « d’occasion ». Il suffisait d’enlever une pièce au moteur de chaque voiture pour qu’elles ne soient plus considérées comme neuves. La liste des voitures et de leurs pièces manquantes était tenue à jour. Les pièces enlevées aux moteurs étaient livrées à des garagistes qui n’avaient plus qu’à se rendre acquéreurs à vil prix des voitures correspondantes et le tour était joué ! Ils pourraient revendre clandestinement ces voitures américaines neuves aux Soviets, sur lesquels s’étendait alors un embargo. Des hommes politiques à tous les niveaux y trouvaient leur compte, et c’est la raison pour laquelle ce juteux trafic ne fut pas évoqué au procès. On fit « comme si » une seule voiture allait être livrée à Paris, et Seznec a gardé le silence, pensant peut-être qu’il ne fallait mouiller personne et qu’il serait blanchi faute de preuves ! On sait la suite : une machine à écrire (déposée à la scierie Seznec par l’inspecteur de police Lafond) qui l’accablait et ce fut la condamnation du coupable idéal au bagne à perpétuité !
Nous sommes entrés dans la bouche de l’Amazone (la carte est formelle) mais les deux rives n’étant pas visibles, on pourrait se croire encore en pleine mer, seule la teinte café au lait des eaux dénonce le fleuve. Notre documentaire quotidien m’apprend que, dans le monde, sur la quantité d’eau douce apportée à la mer par les fleuves, 20 % vient de l’Amazone : 120.000 m3/seconde. L’incroyable lacis des cours d’eau qui constituent son bassin couvre une large surface : plus de onze fois la France...
Ma gorge est douloureuse et je passe au centre médical où la nurse (infirmière) est Québécoise et s’appelle Lisa Bellehumeur… Nous bavardons sur l’origine de son patronyme, venu sans doute d’un ancêtre qui voyait la vie en rose. Elle me donne de l’aspirine, précisant « si pas d’amélioration dans les jours suivants, tu verras le médecin », me tutoyant sans façons, ainsi que le font beaucoup de Québécois.
Un béret basque coiffant les serveurs, je suppose que nous aurons droit à un dîner français. Bingo ! Escargots, bouillabaisse, tarte Tatin… et j’en passe ! Nous nous offrons une bouteille de vin à partager à deux, et le sommelier se fait un plaisir de remplir nos verres à la même hauteur... et il a l'oeil !
Jour 9 - Macapa et l’Equateur marque 000
Pas de room service puisque nous partons tôt découvrir Macapa. Il fait moins chaud que je le craignais, et le soleil me rappelle que j’ai oublié ma crème solaire et la lotion anti-moustiques ! Une interprète traduit les explications du guide qui ne parle que portugais. Le fort de briques par lequel commence la visite n’offre guère d’intérêt, même s’il y a pléthore de guides. Un tout jeune garçon (18 ans en juillet prochain, explique-t-il tout fiérot) essaie de trouver assez de mots français pour faire son travail. Il s’appelle Jean Martins, et semble heureux d’apprendre qu’il porte (presque) le nom le plus porté en France. Sa mère est Blanche, son père Noir, il est donc métis ; il voudrait avoir mon adresse e-mail, mais je ne peux rester en contact avec trop de monde et élude sa question.
Pour faire durer le temps de la visite, une séance de cinéma nous présente les beautés et richesses de la province… Lorsque nous pouvons enfin arriver sur les fortifications d’où l’on domine le fleuve, l'Amazone est si large qu’on n’en voit pas l’autre rive, un déluge s’abat sur nous et c’est la course effrénée jusqu’à la chapelle. J'ai eu le temps d’être trempée et dans le bus, ce satané air conditionné me glace la nuque. L’arrêt suivant au marché artisanal proche permet d’offrir mon dos au soleil afin de le sécher, mais le guide m’invite alors à entrer voir une hôtesse qui parle français. Sans conviction je laisse mon regard flotter sur les objets exposés en répondant à Daniela, 23 ans, qui connaît Cayenne, me dit-elle avec fierté. Le guide revient me demander si j’accepterais une interview avec une équipe de TV… J’avais bien remarqué au fort qu’une équipe nous filmait, sans y prêter vraiment attention. Mais là, les choses deviennent sérieuses… et me voilà la vedette ! On me demande si j’aime la province d’Amapa. Comment savoir ? Je débarque de ce matin, mais ce que j’ai vu me plaît : je suis impatiente de découvrir le Marco Zero de l’Equateur… On semble satisfait de mes réponses !
Le petit musée voisin expose des objets précolombiens et les richesses minérales de la province. Dans le jardin sont plantés les arbres qui constituent la flore arboricole du pays, et une hutte indienne est bâtie en bordure d’un cours d’eau.
Le point Zéro est marqué par un monument dont le sommet évidé permet, à midi juste, de placer le soleil dans l’alignement du trou. Il pleut mais il en faut plus pour faire taire l’enthousiasme qui me submerge : car il faut bien jouer le jeu : se faire tirer le portrait au lieu 000 de la planète et chevaucher l’Equateur, un pied dans l’hémisphère Nord, l’autre dans le Sud ! Une curiosité : des œufs tiennent debout sur la ligne matérialisant l’Equateur, et seulement là ! A côté, ils roulent sur le côté… Bien sûr, je n’ai plus de batterie à ce moment précis, l’autre est restée dans le bus, et Joyce is away avec mon autre appareil ! C'est Gery qui a pris le cliché.
De retour à bord, je suis vraiment très enrhumée et mon nez commence à couler à flot continu. Je vais rester dans la cabine jusqu’au dîner en remplissant la corbeille des kleenex usagés dont les stewards m’ont abondamment pourvue.
C’est ce soir l’anniversaire de Linda et le personnel en lui offrant le gâteau chante la version indonésienne de "Happy birthday" à son intention. Je fais l’impasse sur le show et rentre à la cabine me coucher.