Mon petit JUILLET
Laissez-vous vous conter une histoire de famille avec ses fables, ses non-dits et ses secrets.
Une chose était sûre et n’avait jamais été mise en doute depuis plus de cent ans : la famille descendait d’un enfant trouvé, et les recherches généalogiques que nous aurions entreprises ne serviraient à rien, du moins de ce côté. Les « anciens » disaient que le grand-père avait été trouvé près d’un château des environs de Cognac, et laissaient entendre qu’il devait être le fruit des amours d’une servante avec l’un des « gens du château » (et pourquoi pas le châtelain lui-même ?). Selon ce qu’il a raconté plus tard à ses enfants, il aurait été recueilli, mais non adopté, par un couple de laboureurs.
Jusqu’au moment où, ayant deux jours à perdre sur le chemin des pistes de ski, nous avons décidé, mon mari et moi, de faire halte à Angoulême pour voir à quoi pouvait ressembler l’acte de naissance d’un enfant trouvé. Les employés des Archives de Charente précisèrent tout d’abord que, s’il n’existait aucun registre des enfants trouvés, ils étaient cependant tout disposés à nous aider si nous avions quelques détails sur l’ancêtre recherché. De lui, nous savions seulement qu’au mariage de l’un de ses fils en 1908, il était domicilié à Malaville. Le troisième registre des recensements consultés nous livra la date et le lieu de sa naissance…
Le cœur battant, nous avons feuilleté le registre des naissances de 1849 d’Etriac (25 km au sud-ouest d'Angoulême) toujours convaincus que l’aïeul avait été trouvé un beau matin d’été après avoir été déposé… peut-être à la porte de l’église ?
Mais c’est un acte de naissance banal que nous avons lu…
Jean GARAUD, bordier de 69 ans (il se dit âgé de 60 ans) est venu « sur les six heures du matin le 16 juillet » (c’est l’heure solaire) dans la petite mairie « déclarer que sa fille Jeanne Garaud 32 ans (la plus jeune de ses huit enfants dont seules deux filles survivent) était accouchée la veille en son domicile d’un enfant de sexe masculin fils de père inconnu, auquel il a déclaré donner le nom de JUILLET.
Vous remarquerez que le grand-père n’a pas donné de prénom à l’enfant, ni son propre nom de Garaud. Jusqu’alors, ce n’était pas l’usage de donner le patronyme de la mère à un enfant naturel, mais de plus en plus souvent, les officiers ministériels avaient commencé à le faire depuis plus de dix ans. Pourquoi Juillet ? Parce qu'il est né en juillet ?
JUILLET est donc né le 15 juillet 1849 à Etriac, une toute petite bourgade de Charente (371 habitants au recensement de 1851) à l'habitat dispersé, où chacun connaissait tout le monde… Il y avait une église, un curé, une mairie, le maire et son conseil municipal. Il y avait même un notaire.
· La mère de mon mari s’appelait Hélène JUILLET. · Son père à elle était Jules JUILLET. · Son grand-père était JUILLET… · … car vous l'avez compris, l’arrière-grand-père n’avait pas laissé sa carte de visite en partant.
Je ne retrouve la trace de l’enfant JUILLET qu’en 1861 sur le registre de recensement. Sa grand-mère maternelle, plus âgée de 8 ans que son mari, est morte à 77 ans quelques mois après la naissance de l’enfant, il n’est donc pas étonnant qu’il ne vive pas chez ses grands-parents. J’ignore où est Jeanne GARAUD la mère (dite sans profession) ce qui est exceptionnel dans ces campagnes où même les filles de riches propriétaires fermiers sont dites « servante ».
Le recensement de 1861 révèle qu’il vit chez sa tante, la sœur aînée de Marie Garaud qui, à 47 ans, a épousé en premières noces en juin 1849 (un mois avant la naissance de JUILLET) un estropié des guerres napoléoniennes de 54 ans. Ils n’auront pas d’enfant, et l’oncle par alliance est lui-même un enfant né de père inconnu.
Ce registre indique :
JOSEPH Jean cultivateur 69 ans
Chef de ménage
St GARAUD Marie sa femme 52 ans
JUILLET François élevé par Joseph 11 ans enfant naturel
Il manque plusieurs registres des recensements, mais à celui de 1872, il travaille en qualité de domestique dans une grande ferme :
Enfant naturel JUILLET domestique 23 ans
Il épousera Marie Vignon le 30 décembre 1872 après avoir passé un contrat de mariage le 16 août précédent et une promesse de mariage enregistrée le même jour. Ces trois actes portent clairement que Juillet fils naturel (François n’est apparu qu’une seule fois en 1861) savait qui était sa mère, morte en 1867 à moins de 3 kilomètres.
Ils auront 4 fils, auxquels ils raconteront la fable de l’enfant trouvé, qui a perduré jusqu’à la découverte de l’acte de naissance.
Lequel d’entre vous pourra me dire quelles ont pu être les motivations de cet homme qui a préféré se prétendre « trouvé » plutôt que d’assumer une filiation maternelle connue ? Parmi toutes les hypothèses que vous me proposerez, il y en a peut-être qui pourront lever en partie le voile obscur de cette histoire de famille. Dans cette petite commune d’Etriac, ils étaient nombreux à être nés de père inconnu… vraiment très nombreux… beaucoup plus que dans les bourgades des alentours. Juillet n’était que l’un de ceux-là, et il est difficile de penser que c’est la raison du mythe qu’il a mis en place avec l’approbation de son épouse et de toute leur famille puisque personne n’a « cafté ». Les plus anciens disent aujourd’hui qu’ils avaient pressenti un mystère, mais que le sujet était éludé à chaque fois qu’il était question du grand-père « trouvé ».
Une cousinade le 31 juillet a réuni environ 70 personnes de sa filiation, dont quelques-uns se croyaient encore descendants d’enfant trouvé !
Si un détail ne vous paraît pas clair dans mon exposé, soyez gentils de me le dire. J’ai tant adopté cet ancêtre de mes enfants que je l’appelle « mon petit Juillet ». Il est mort en 1927, et nul n’a de photos de lui.
Ah ! une précision en guise de conclusion…
Avant la Révolution, Garaud était Saingaraud, souvent écrit Saint-Garaud. Les Juillet d’aujourd’hui devraient donc être Saingaraud.
Le buffet "saintongeais" du mariage de Juillet et Marie Vignon est chez moi.