Puisque nous sommes à Shanghai...
... Laissez-moi vous conter un souvenir vieux de vingt ans.
Depuis notre arrivée à Pékin le 1er mai 1989, nous avions été accompagnés par Yan, un jeune guide discret et compétent qui savait si bien nous parler de son pays et de sa culture si riche. Toujours disponible, il savait arranger les divers désagréments que peuvent rencontrer des touristes lâchés dans un milieu inconnu.
Shanghai était la ville où il habitait avec sa famille, et, bien sûr, le soir de notre séjour, il n'avait pas dormi à l'hôtel... Le lendemain matin, il était là très tôt, le visage défait. Il n'échappa pas aux allusions salaces de quelques-uns... Les Chinois sont pudiques, et Yan n'échappait pas à la règle : il avait semblé seulement extrêmement embarrassé. J'avais tissé avec lui des liens d'amitié et de confiance, et plus tard dans la journée, il avait fini par me confier comment s'était passée sa soirée de la veille.
Lorsqu'il était rentré chez lui, dans l'appartement qu'il partgeait avec ses parents et grands-parents, sa fillette était souffrante, et au cours de la nuit, son état avait empiré. En Occidentale "nantie", étourdiment, j'ai posé la question :
"Vous avez téléphoné à un médecin ?"
"Il n'y a pas de téléphone dans le quartier"
Son épouse avait alors emmitouflé l'enfant, l'avait prise dans ses bras, et Yan avait pédalé dans la nuit, tous trois sur le vélo, jusqu'à l'hôpital, loin dans la ville. Il y étaient restés jusqu'au petit jour, attendant un verdict peu rassurant. Nous sommes restés plusieurs jours à Shanghai, et l'enfant était toujours hospitalisée.
Yan a poursuivi le voyage, nous a accompagnés jusqu'à Canton (il ne pouvait quitter le territoire chinois pour venir à Hong Kong) et, mort d'inquiétude, est resté jusqu'à la fin sans nouvelles de sa petite fille, n'ayant aucun moyen de communication.
Lorsque nous nous sommes quittés à Canton, nous lui avons laissé tous les médicaments, aspirine, antidouleurs, compresses alccolisées et autres produits pharmaceutiques que nous avions.
C'était il y a vingt ans...