Rendez-vous avec Edwar à Calafate
Samedi 8 mars
Qui n’a jamais campé ne connaît pas le vrai plaisir de lever le camp sous la pluie, et de plier le matériel trempé. Plus de montagnes, rien que d’épais nuages mouillés. Le ciel finit tout de même par se dégager, mais les sommets restent cachés, et il faudra modifier le programme.
A la frontière, nous dépensons nos derniers pesos chiliens en sandwiches, (34.300 pour dix), cartes, et divers objets en « pain d’Indien », cette excroissance d’arbre causée par un parasite, comparable à la loupe d’orme. Il y a bien des lapis-lazuli, mais ce sera pour la prochaine fois !
A la cabane des douanes nous a précédé un groupe de jeunes qui mangent les fruits qu’il est interdit d’introduire au Chili « en l’état ». Leurs sacs sont longuement fouillés, et les formalités s’éternisent. Quand vient notre tour, tout va très vite, peut-être parce que nous repartons…
Photo de groupe devant le panneau « Bienvenue en République Argentine » dans le no man’s land avant le poste frontière où le douanier prend grand soin d’apposer son cachet à la bonne page du passeport. Notre pique-nique chilien est savouré sur place « sin » mayonnaise, sous les yeux des fonctionnaires, et de deux caranchos qui, perchés sur des piquets fuient l’objectif.
Arrêt à Tehuelche Cafe au milieu de nulle part (non ! non ! pas Bagdad Cafe, ça c’était dans un autre chapitre de nos aventures, quoique…) Il y a là de beaux spécimens mâles de l’espèce « gaucho indigena » qui passent le temps en jouant au billard. La steppe de la pampa s’étend jusqu’au lointain horizon. Aucune culture sur cette terre pauvre, battue violemment par le vent froid.
Sur la route 40 (qui est l’équivalent sud-américain de la mythique route 66 aux USA), nous avons croisé 3 cyclistes, et ils ont bien failli être plus nombreux que les voitures, mais l’égalité a fini par être atteinte. Le regard porte à l’infini, le vent souffle sans obstacle sur ce tapis végétal mité. Quelle force porte ces gens courageux à affronter ainsi la solitude et les difficultés de ce paysage désolé. Quel est l’abruti qui a dit que la Terre est ronde ? Pas un Patagon, c’est sûr !
Un torrent, maintenant à sec, a emporté la route ; une passerelle provisoire permet de franchir le lit de roches éparses qu’il a laissés derrière lui. La route, maintenant asphaltée, domine un panorama dont le lac Argentina fait la toile de fond, et la rivière Santa Cruz, qui serpente jusqu’à l’Atlantique. Alignée le long de la rambarde, une brochette de « grâces » commence à se dissiper en chantant un peu n’importe quoi, parmi lequel l’immortel « Tu verras le ciel clair de Buenos Aires », dont les paroles ont quelque flottement dans le chœur…
Nous ne serons pas à 18 h comme prévu à Calafate, une déviation hasardeuse nous oblige à reprendre la piste. Même sur la route asphaltée, en dépit des lignes jaunes, continues ou pas, Franco prend la médiane, et parfois, selon les opportunités, la partie ou même le bas-côté gauches, afin d’éviter les nids de ñandous de la chaussée.
Entre les estancias, la route est coupée par des « garde bétail », ces grilles infranchissables pour les vaches et les moutons, car ils ne peuvent rester en équilibre sur les barres métalliques. Les guanacos sautent par-dessus, et les ñandous passent aisément entre les fils de clôture non barbelés.
L’arrivée aux « cabanas » est périlleuse, puisqu’un trou dans le trottoir oblige Franco à négocier son virage. Mais les bungalows de bois verni qui ont la forme pointue de A très majuscules, nous plaisent dès le premier regard. Notre petit Edwar et son sourire sont au rendez-vous et les deux 4 x 4 sont désormais opérationnels. Trois lits dans le séjour, 2 chambres à l’étage pour trois personnes : 9 en tout. L’autre, plus petit, peut abriter 5 personnes. Le hic, c’est que notre douche est capricieuse : tous les autres robinets (évier, lavabo, bidet) ont de l’eau chaude… pas la douche ! La plupart des cobayes, sauf Madeleine, ont fait leurs ablutions à l’eau froide.
Expédition en ville. Calafate est une petite ville très touristique, où je rencontrerai des Français arrivés de chez nous le jour même. Le Petit Futé consulté nous incite à rendre visite à Mi Viejo (Mon Vieux) et le choisir comme point de sustentation. Les agneaux cuisent au feu de bois dans la vitrine sous les yeux des badauds. Des beefsteaks plus épais que la main pour les uns, des tranches de gigot pour les autres, la gastronomie andine nous plaît bien !
J’ai trouvé dans une boutique de sports une bombe imperméabilisante pour mon anorak, lequel, s’il me protégeait bien du froid, avait des faiblesses quant à l’étanchéité. Il verra demain de quel bois je me chauffe !
Sur le chemin du retour, un peu à l’écart du centre, une stèle porte deux bustes de bronze. Si je n’avais vu que celui de l’homme, je n’y aurais pas prêté attention, mais le chignon caractéristique que portait l’épouse du premier m’a fait lever la tête. Pas besoin de lire la plaque : il s’agit de Juan et Eva (Evita) Peron, ce couple mythique qui a dirigé l’Argentine à partir de 1946. Evita était devenu une sainte aux yeux des descamisados (orthographe non garantie), les « sans chemises » qui en avaient fait leur idole, et qui est morte en juillet 1952.
Au bungalow, la douche est un travail d’équipe : un postulant dans la salle de bain à guetter à la pomme, l’autre aux commandes du robinet de l’évier pour chauffer le contenu du tuyau. Quand ça re-coule froid, on recommence ! Pour moi, Alice a été parfaite, elle qui a une estancia près d’ici, ce qu’elle nous avait caché, garde sa simplicité. Elle peut bien parler des Hardy et leur péninsule de Terre de Feu… sans oublier qu’elle a toujours son restaurant à Malibu ! Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que notre jeu favori en voyage est d’acheter des propriétés ou d’ouvrir des entreprises selon les opportunités…
Demain, mini trekking sur le glacier Perito Moreno.
Le minibus affiche un peu plus de 1.400 km au compteur depuis Ushuaia.